Session d’Automne du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe (1-3 décembre 2008)

Chambre des pouvoirs locaux

Intervention de Jean-Claude FRECON, vice-président du Congrès

2 décembre  2008

Mesdames, Messieurs, chers collègues,

Avant de vous faire le rapport de ma visite en Lettonie, je tiens tout particulièrement à saluer la présence ici du Ministre letton des initiatives spéciales en faveur de l’intégration sociale, M. Oskar KASTENS qui nous fait l’honneur de participer à notre session d’automne, et qui va intervenir sur la question de la participation des non-citoyens à la vie politique locale.

Monsieur le Ministre, nous avions vivement souhaité la participation de votre gouvernement sur un sujet ayant trait à la qualité de la démocratie locale lettone, et je vous remercie beaucoup d’avoir accepté notre invitation.

Le 19 novembre 2007, le Bureau de la Chambre des pouvoirs locaux a décidé d’envoyer une mission d’enquête en Lettonie en raison de l’absence d’informations fournies par votre gouvernement depuis 2005, notamment sur la question de la participation des non-citoyens à la vie politique au niveau local, qui avait fait l’objet d’une recommandation en 1998.

Je me suis donc rendu en Lettonie, à Riga, les 14 et 15 avril derniers en tant que rapporteur. J’étais accompagné d’un membre du Groupe d’experts indépendants, Jean-Marie Woehrling, et de deux membres du Secrétariat du Congrès, Jean-Philippe Bozouls, le Secrétaire exécutif de notre Chambre et Almut Schröder, la Secrétaire de la Commission institutionnelle. Je les remercie d’ailleurs pour leur aide et leur assistance dans cette mission.

Au cours de cette visite, nous avons rencontré de nombreux représentants des autorités lettones. Nous vous avons rencontré, Monsieur le Ministre,  et vous avez bien voulu nous accorder de votre temps et de votre écoute. Je souhaite personnellement vous manifester ma reconnaissance pour la qualité de nos échanges Nous avons rencontré également un député du Parlement de Lettonie, un représentant du Ministère du développement régional et du Gouvernement local, des représentants de la délégation lettone au Congrès bien sûr, et des représentants de l’Association lettone des Gouvernements locaux et régionaux.

Je dois dire que le sujet sur lequel a porté cette mission avait généré de nombreux rapports et recommandations par plusieurs organes du Conseil de l’Europe. Nous le savons bien, c’est un sujet politiquement sensible car il porte en lui une charge émotionnelle très forte au sein de  la classe politique lettone et plus largement au sein même de la société et de la population de Lettonie, toutes catégories confondues, si je puis m’exprimer ainsi.

Je ne veux pas vous faire une longue présentation sur la situation des différentes communautés en Lettonie, vous trouverez de plus amples explications dans le rapport.

Pour bien comprendre la situation, il est important de savoir que la Lettonie est un petit pays de 2,3 millions d’habitants, adossé à un très grand pays, la Russie, qui compte 143 millions d’habitants. C'est un pays multiethnique, multi-communautaire, composé de citoyens lettons et d’une catégorie spéciale, les fameux « non-citoyens », qui font l’objet de ce rapport et de notre préoccupation au Congrès.

Ces non-citoyens représentent à peu près 16% de la population soit 370 000 personnes et sont, pour la plupart d’entre eux, des personnes russophones et d’origine russe. Ils sont résidents de longue durée en Lettonie, beaucoup sont nés là ! Ni « apatrides » au sens juridique du terme, ni totalement étrangers, ils ont un statut dit de « non-citoyens » qui leur permet même de disposer d’un passeport spécial : un passeport de « non-citoyen ».

S’ils font entièrement partie de la société lettone, ils travaillent, ils consomment et ils paient des impôts, ils ne sont toujours pas traités sur un pied d’égalité avec les autres citoyens, et c’est pourquoi, outre cette appellation qui les exclut, de facto ils ne disposent pas des mêmes droits politiques que les citoyens lettons.

Ils ne peuvent pas voter aux élections nationales, ni locales, ni être éligibles. Ils peuvent participer aux débats politiques et exprimer leurs opinions. Mais, ils ne peuvent pas voter.

En vérité, pour la population d’origine lettone, ces « non-citoyens » incarnent une réminiscence de l’ère soviétique, et pour mieux comprendre cette situation aux racines historiques complexes, nous avons interrogé les différentes autorités rencontrées au cours de cette visite. Il nous a été régulièrement répondu que ces non-citoyens avaient la possibilité de se faire naturaliser pour devenir citoyens lettons, et donc pour disposer des droits politiques.

Et c’est là, Monsieur le Ministre, que nous avons une analyse différente.

Pour ma part, il me semble qu’il faille distinguer les droits politiques et la procédure de naturalisation, et en quelque sorte inverser les facteurs. Là où vous dites : qu'ils se naturalisent et ils auront le droit de vote, nous nous disons : donnez leur de suite le droit de vote au niveau local et, j'insiste bien, au niveau local, et vous favoriserez le sentiment d'intégration, et par là, leur volonté de mieux s'insérer dans le tissu national.

Monsieur le Ministre, les conditions liées à une demande de naturalisation ont été, nous avons pu le constater, très assouplies et les autorités lettones n’ont pas ménagé leurs efforts en ce sens. C’est un fait indéniable et je pense qu’il faut le souligner et saluer cette volonté politique de votre gouvernement et de vous-même dans vos fonctions.

Mais force est de constater que cette politique n’a pas entraîné une vague significative de naturalisations. En 10 ans, seulement 121 000 personnes ont été naturalisées, il reste tout de même aujourd’hui 370 000 non-citoyens en Lettonie. C’est beaucoup, et les perspectives de voir ce chiffre diminuer sont minces.

Monsieur le Ministre, je lisais encore récemment dans la presse que depuis 1991, sur 18 000 enfants russophones, seulement 1 000 sont enregistrés comme lettons. Le paradoxe, Monsieur le Ministre, c’est que ces enfants peuvent acquérir la nationalité lettone si leurs parents en font la demande. C’est donc bien qu’il y a un problème de confiance- qu’il faut restaurer.

 Ce ne sont pas les conditions de naturalisation en tant que telles qui posent vraiment problème. Il y a, manifestement, un blocage psychologique de la part des non-citoyens qui vivent depuis longtemps dans ce pays et qui refusent, par principe, de se soumettre à cette procédure qui n’est pas automatique et qui comporte un examen et qu'ils ressentent comme une humiliation.

Nous pensons que la participation à la vie politique locale est un facteur facilitateur d’intégration de ces non-citoyens. Nous pensons que la solution à l’intégration des non-citoyens dans la société lettone est différente de celle que le gouvernement envisage. Nous pensons qu'en leur donnant le droit de vote aux élections locales, ils se sentiront davantage impliqués dans une société à laquelle ils appartiennent déjà (bien qu’ils n’aient pas le titre de citoyens), et c’est alors qu’ils se tourneront vers la procédure de naturalisation. Et non le contraire.

Ne pas permettre à ces résidents lettons de participer à la vie locale selon nous porte atteinte à l’esprit de la Charte européenne de l’autonomie locale, et en particulier à son Préambule, que la Lettonie a signé et ratifié en 1996. Cela porte atteinte à l’essence même d’un principe de démocratie locale et de démocratie tout court, même si de nombreux pays encore (dont le mien) n'ont pas adhéré à ce principe.

Par ailleurs et dans le même esprit, je recommande que les autorités lettones assouplissent encore la procédure de naturalisation en accordant la naturalisation automatique aux personnes les plus âgées et à celles qui sont nées en Lettonie. 

Je voudrais ici souligner que la Lettonie a signé et ratifié, en 2005, la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales. Ceci témoigne clairement de l’engagement des autorités dans la promotion des droits des minorités sur leur territoire. La présence du Ministre KASTENS à cette session est un autre gage de la volonté de dialogue et d’ouverture des autorités lettones

La délégation a bien perçu, pendant cette mission, cette bonne volonté des autorités, mais il me semble fondamental qu’elles franchissent un pas supplémentaire en donnant le droit de vote à ces non-citoyens, afin de réconcilier la société lettone avec elle-même et la rendre plus cohésive.

Nous ne voulons pas condamner ou stigmatiser. Nous savons la complexité de votre Histoire parce que c’est la complexité de l’Histoire européenne elle-même, mais nous avons la conviction que vous manqueriez l’opportunité que vous avez de réconcilier des communautés destinées de toute façon à vivre ensemble.

Aussi difficile que cela soit, c’est la responsabilité de votre gouvernement de trouver la force politique de fonder durablement et solidement votre pacte national, et j'ai la conviction que vous avez personnellement cette capacité.

Je vous remercie.