Session d’Automne Chambre des pouvoirs locaux

2 décembre 2008

Intervention de Michel Guégan, rapporteur sur la situation de la démocratie locale en Belgique

Vérification à l’écoute

Mesdames, Messieurs, Chers collègues,

Avant de vous présenter mon rapport, je tiens à saluer la présence, dans cet hémicycle, du représentant du Ministre Marino Keulen, le ministre de l’Intérieur du Gouvernement flamand ainsi que la présence des trois bourgmestres non nommés : M. François van Hoobrouck d’Aspres (de la commune de Wezembeek-Oppem), M. Arnold d’Oreye de Lantremange (de la commune de Krainhem) et M. Damien Thiéry (de la commune de Linkebeek).

Messieurs, je vous remercie chaleureusement d’avoir accepté notre invitation à participer à ce débat, cela nous permettra d’avoir un échange de vues plus complet sur ce dossier.

Avant toute chose, permettez-moi de faire une remarque générale.

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt, et de tristesse parfois, les critiques qui ont été faites à l’égard de la portée de cette mission d’enquête du Congrès. J’ai même reçu jusque dans ma commune de Bretagne des lettres d’insultes, et je veux tout simplement et très sereinement rappeler que cette mission d’enquête n’a eu pour but que de clarifier la situation portant sur le refus du Ministre de l’Intérieur flamand, Marino Keulen, de nommer 3 candidats bourgmestres élus, et d’ailleurs bien élus, dans trois communes à facilités situées en région flamande.

Monsieur le représentant du Ministre, nous ne sommes pas, nous, membres du Congrès, des militants dans le débat communautaire belge. Nous ne voulons pas stigmatiser la région flamande, ni son ministre de l’Intérieur. D’ailleurs, pour tout vous dire, la Flandre n’est pas notre obsession ! Nous sommes une délégation internationale du Congrès du Conseil de l’Europe, et nous nous sommes rendus en Belgique afin de vérifier tout simplement le respect, par la Belgique, de ses obligations contractées en 2004, par sa ratification de la Charte européenne de l’autonomie locale.

A la demande du Bureau de la Chambre des pouvoirs locaux, moi‑même et le Rapporteur pour la Belgique de la Chambre des régions, Dobrica Milovanovic, nous nous sommes rendus en Belgique les 13 et 14 Mai derniers.

J’ai fait rapport sur cette mission d’enquête lors de la session plénière en mai dernier, et il me semble nécessaire de vous indiquer les points forts de la résolution et de la recommandation que la Commission institutionnelle a approuvées le 31 octobre dernier, et sur lesquelles vous allez vous prononcer.

Les faits sont assez simples, je vous les rappelle :

Trois candidats bourgmestres ont participé à des élections communales qui se sont déroulées en octobre 2006 dans trois communes dites « à facilités » situées en périphérie bruxelloise dans la région flamande. Les sièges obtenus sur leur liste respective leur ont permis d’être désignés confortablement par leur majorité municipale (Linkebeek : 10 sièges sur 15 ; Krainhem : 18 sièges sur 23 et Wezembeek-Oppem : 18 sièges sur 23).

Toutefois, en vertu de la législation flamande en vigueur, c’est au Ministre de l’Intérieur du Gouvernement flamand qu’il revient de les nommer. Or, le Ministre Keulen refusa de les nommer aux motifs que ceux-ci avaient délibérément envoyé les convocations de vote en français aux électeurs francophones, et en néerlandais, aux électeurs néerlandophones. Ils auraient dû, selon le Ministre flamand, envoyer l’ensemble des convocations de vote en néerlandais, et faire un envoi en français uniquement sur demande expresse des électeurs qui le souhaitaient. D’autre part, les bourgmestres auraient toléré l’usage du français par certains membres de leur conseil municipal pendant les séances de ce conseil alors que seul le néerlandais constitue la langue autorisée. Selon le Ministre de l’Intérieur flamand, les bourgmestres auraient ainsi contrevenu à plusieurs reprises à la législation. A ce jour, ils sont « bourgmestres faisant fonction » et occupent le siège du 1er échevin au sein de leur conseil communal. 

Par conséquent, il y a aujourd’hui trois fauteuils vides dans ces trois communes malgré des résultats aux élections pour le moins honorables si l’on en juge par les suffrages recueillis par chacun des trois.

Au cours de notre visite, nous avons rencontré des représentants des Gouvernement et Parlement flamands, dont le Ministre Marino Keulen, ainsi que les 3 bourgmestres non nommés qui sont ici présents et de nombreux autres responsables politiques belges.

Le contexte politique dans lequel s’est inscrite cette mission était particulièrement sensible - il l’est toujours d’ailleurs. Mais notre visite, contrairement à ce qui a été parfois avancé dans la presse, a été sans rapports avec les problèmes institutionnels et politiques du moment, même si, ne soyons pas naïfs, ils ont été utilisés de part et d’autre pour alimenter le débat institutionnel belge.

Je vais vous faire une confidence : notre délégation n’a ni la prétention, ni l’audace, ni encore moins l’imprudence, de vouloir s’immiscer dans le débat politique institutionnel en Belgique ! Il y a des limites au masochisme.

En tout cas ce n’est pas le rôle qu’on nous a confié et à aucun moment, nous n’avons dévié du mandat qui nous était fixé par le Bureau de la Chambre des pouvoirs locaux.

Notre outil, c’est la Charte européenne de l’autonomie locale, c’est notre carte et notre boussole. Ce texte est resté notre seule obsession, notre unique référence et il a dicté nos travaux jusqu’à maintenant. La Belgique l’a signé, elle l’a ratifié, ce texte, tel qu’elle l’a ratifié, même avec des réserves, s’impose à elle, au-dessus même de sa législation nationale qui doit lui être conforme.

Moi-même, ainsi que Dobrica Milovanovic, avons relevé principalement 5 points litigieux qui constituent des manquements à la Charte :

Le premierqui nous pose problème au regard de la Charte, c’est le trouble dans la gestion des affaires publiques que cause cette non-nomination des 3 bourgmestres.

Depuis janvier 2007, il y a trois sièges de bourgmestre vides dans ces 3 communes. Ceci entrave la bonne marche de la gestion de ces communes depuis 2 ans, et ce délai n’est pas raisonnable.

Le deuxièmeconcerne la question de la participation à la vie politique locale. Les 3 communes à facilités sont peuplées d’une population majoritairement francophone, or l’obligation qui est faite aux membres du Conseil communal de ne s’exprimer qu’en néerlandais (y compris dans l’envoi des convocations de vote) n’est sûrement pas de nature à encourager leur participation à la vie politique locale. Nous considérons qu’en signant et en ratifiant la Charte, la Belgique s’oblige à en respecter les dispositions, en particulier celles sur la participation. Quel gouvernement européen aujourd’hui pourrait décider d’entraver délibérément la participation des citoyens aux institutions démocratiques pour des motifs linguistiques ?

Le troisièmeconcerne la disproportion résultant de la non‑nomination par rapport à la nature des fautes qu’auraient commises ces bourgmestres. Il eut été plus raisonnable d’envisager de simples procédures disciplinaires et cela aurait été plus respectueux de la qualité des bonnes relations communautaires, et aurait permis de traiter les vrais problèmes.

Le quatrièmeme semble en contradiction flagrante là encore avec l’esprit même de la Charte en ce qu’il porte sur la tutelle - forte - qu’exerce l’exécutif régional sur ces communes dites « à facilités ». Le pouvoir discrétionnaire du ministre constitue, selon nous, un élément excessif d’ingérence de la part du pouvoir exécutif, qui va bien au-delà d’une simple tutelle en démocratie.

Enfin, le cinquième et dernier point a trait au non-respect de la recommandation 131 du Congrès que nous avions adopté en 2003. Déjà en 2003, le texte de la recommandation encourageait les autorités belges à s’affranchir du système de nomination des bourgmestres pour passer à un système d’élection par le conseil communal ou par les citoyens. Je tiens à préciser que la Wallonie a modifié sa législation en ce sens et a donc réussi à réviser son système de désignation des maires, sans que, à ma connaissance, son identité régionale en soit gravement affectée.

Voilà les 5 points qui nous paraissent faire problème et qui méritent d’être traités par le gouvernement belge.

Nous préconisons notamment que les autorités belges encouragent le ministre flamand de l’Intérieur à nommer sans délai les trois bourgmestres dont les listes ont été élues, afin de mettre un terme au trouble causé dans la gestion des affaires publiques.

Or, tout récemment, le 24 novembre dernier, le Ministre Keulen en a décidé autrement et a, avec un certain retentissement médiatique, opposé un deuxième refus à la nomination des trois bourgmestres. Cette décision est lourde de conséquences pour les trois personnes non nommées bien sûr, mais plus largement, pour la Flandre et pour la Belgique.

Je ne suis pas spécialiste des questions belges, et j’ignore s’il est encore envisageable que le Ministre puisse reconsidérer ce refus de nomination. Mais si ce n’est pas possible, alors que d’autres élections soient organisées !!! Mais au regard de la Charte, texte que la Belgique a signé et ratifié, il n’est pas acceptable selon nous de voir perdurer plus longtemps une telle situation.

Par ailleurs, notre recommandation demande aux autorités belges d’encourager un processus de révision des lois linguistiques, notamment quant à leur application dans les communes dites à facilités, afin de permettre l’usage des deux langues, français et néerlandais, lors des séances du conseil communal aussi bien pour les conseillers communaux, que pour le bourgmestre et les échevins.

Je sais que certains penseront que c’est une provocation, mais un esprit attentif et raisonnable n’y verra que du bon sens.

Enfin, pour ce qui concerne notre texte de résolution, je vous invite, vous, membres de la Chambre des pouvoirs locaux, à vous prononcer en faveur d’un monitoring général de la Belgique sur les questions de démocratie locale, en attachant une attention particulière à l’évolution des manquements à la Charte que nous avons constatés pendant cette visite.

A l’heure où je vous parle, la situation politique belge n’est ni simple ni facile. Je crois cependant, malgré ces difficultés, que nos interlocuteurs belges méritent un langage de vérité et de franchise.

Ce n’est pas par hasard que la Belgique est un pays fondateur du Conseil de l’Europe, c’est parce qu’elle en partageait toutes les valeurs qu’elle est restée pendant plus de 50 ans un des membres les plus actifs de cette organisation, et c’est au nom de cet engagement jamais démenti que je souhaite que nous puissions travailler ensemble à l’amélioration de la démocratie locale belge là où c’est nécessaire.

C’est notre ambition que nous invitons toute la classe politique belge à partager.

Je vous remercie. 

Je donne la parole à mon co-rapporteur Dobrica Milovanovic s’il souhaite rajouter quelque chose.