Conférence sur les Droits de l’homme dans les sociétés culturellement diverses: défis et perspectives

12 novembre 2008

Discours de Esther Maurer, membre du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Les droits humains  - au-dessus de toutes les lois et de tous les textes juridiques - sont quelque chose de très concret, même si nous en parlons souvent d'une façon abstraite et en termes théoriques. Et la réalisation des droits humains, leur garantie et l'évidence de leur existence fait partie de la vie quotidienne de prime abord au niveau local et régional, dans nos villages et nos villes. Bien sûr: C'est normalement au niveau national que les décisions importantes sur les lois de migration sont prises. Mais c'est "entre nous" que nous vivons ensemble et non pas au niveau national. C'est ici que toutes nos démarches dans le domaine de l'intégration sont décisives pour la qualité de notre communauté, notre voisinage, notre esprit et notre volonté d'intégration ou de ségrégation.

Nous ne pouvons pas décider si oui ou non nous voulons vivre avec ceux qui viennent chez nous en requérant de l'asile, en cherchant une nouvelle existence, un nouvel avenir. Mais nous pouvons décider comment nous voulons vivre ensemble. Et cela est une chance et un devoir en même temps! Et surtout c'est une chance et un devoir pour nous, les autorités locales et régionales, responsables de la qualité de vie de toute la population, donc compatriotes tant que migrantes et migrants.

Souvent il s'agit de sortir du cercle vicieux qui est basé sur des préjugés bien répandus contre tout ce qui est étranger ou plutôt inconnu, parfois bien sûr avec quelques détails qui correspondent à la réalité mais qui devraient être vus sous un autre angle. Et cela se fait par une analyse approfondie des faits et des chiffres pour en revenir à la fin sur l'essentiel et c'est justement les droits humains.

Prenez l'exemple de la violence domestique. Il se trouve qu'en Suisse pour le délit de la violence domestique il y a dans 65 % des cas un mari ou un partenaire violents d'origine étrangère - ce qui est d'ailleurs bien au-delà du pourcentage des étrangers en Suisse. Cela incite toujours les partis d'extrême droite à signaler que les étrangers ou plutôt les hommes étrangers sont bien plus violents que les Suisses et qu'ils sont donc pour la majorité des criminels. Si par contre - sans pour autant minimiser bien sûr les dimensions tragiques de ce délit -  on ne s'arrête pas au simple pourcentage des coupables et on se met à analyser les circonstances et le terrain sur lesquels la violence domestique naît et se répète le plus, on constate facilement que c'est le cas

Et nous savons que ces faits se retrouvent plus souvent dans un milieu de migration que parmi les gens établis depuis toujours ou au moins depuis longtemps dans nos pays. Il est donc évident qu'il ne s'agit pas d'une brutalité typique pour les hommes d'origine étrangère, mais qu'il s'agit d'une accumulation de déficits par rapport à ce que l'on pourrait appeler "justice sociale" ou même "droits humains": Avoir un foyer, un emploi correctement salarié ou le droit à une éducation ou formation, une certaine indépendance économique qui permet non seulement la survie mais aussi l'intégration dans un réseau social - voilà la meilleure prévention contre la violence domestique, donc contre la souffrance et l'humiliation des milliers de femmes (et de quelques hommes aussi) dans nos pays.

Si nous sommes conscients du fait que les droits humains ne sont pas un sujet à traiter en relation avec d'autres pays dans d'autres continents sinon que cela a une dimension qui nous touche de près tous les jours et partout, nous pouvons trouver des réponses adéquates aux questions de notre vie commune et de la qualité de vie dans les domaines dont nous sommes responsables, villes, villages ou régions. Vivre les droits humains c'est établir et garantir un minimum de justice sociale pour tous et pour toutes. Voilà ce qui donne de la stabilité à notre société et à nos communautés.

Je vous ai montré l'exemple de la violence domestique. Je pourrais y ajouter d'autres exemples, sans recourir aux exemples de la criminalité. Mais dans tous les exemples que je pourrais y ajouter vous retrouverez les mêmes éléments: Le droit à l'éducation ou à la formation, le droit au foyer, le droit au travail correctement salarié, le droit à une vie sans peur, sans torture, sans violence ni humiliation,  donc le droit à l'intégrité physique et psychique de tout individu. Et il n'y a pas de stabilité dans une communauté si ses membres n'ont pas accès aux droits humains fondamentaux. Tant qu'un simple minimum de justice sociale ne peut pas être atteint par tout le monde, une société se voit confrontée à la ségrégation sociale, au manque de solidarité, au déséquilibre et à l'insécurité.  Et je suis convaincue que chaque société peut être jugée selon sa manière de traiter ses membres les plus faibles. Voilà le point d'orientation principale.

Pour qu'il n'y ait pas de malentendu: Je ne dis pas cela exclusivement en relation avec les migrants ou les étrangers parmi nous. Tout au contraire: L'esprit ouvert et la tolérance vers les migrants sont d'autant plus forts, quand on se sent soi-même dans une situation équilibrée et assurée. La justice sociale et les droits humains fonctionnent comme "stabilisateurs" tant pour les compatriotes que pour les migrants et les migrantes, pour les gens bien à l'aise que pour les gens privés d'une existence économique assurée, pour les jeunes que pour les personnes âgées - donc pour tous les membres de la société quelque soit leur situation personnelle. La garantie des droits humains et la justice sociale c'est donc le terrain fondamental pour que la solidarité puisse exister et donner du renfort dans nos sociétés.

Permettez-moi tout de même de me référer encore explicitement à la situation des migrants et des minorités:

Dans un passé récent, la responsabilité pour la cohabitation culturelle si situait presqu'exclusivement du côté des migrants et des minorités et non pas du côté des communautés qui les "hébergeaient". Cela limitait bien évidemment l'échange interculturel et les connaissances approfondies sur "les autres", ce qui provoque par la suite des angoisses dues à la diversité et à la différence culturelles. Cela était de peu d'efficacité concernant les politiques d'intégration. On cherche donc aujourd'hui à trouver un nouveau départ que l'on peut résumer sous le terme de "méthode interculturel" ou "interculturalisme" qui était déjà connu et approuvé à niveau local, dans les communautés. Il s'agit de reconnaître que la diversité et une chance et une source au lieu d'une menace ou d'un handicap.

Une fois que cela est reconnu aussi par les autorités politiques et par une majorité de la population, l'échange culturel est rendu plus facile et plus évident et il est même de plus en plus initié par la politique elle-même. Et une fois de plus je tiens à souligner que cet échange culturel ne peut avoir un effet positif que quand il est effectué dans un cadre stable et équilibré, un cadre donc où les droits humains et la justice social ne sont pas que des termes théoriques. L'interculturalité ne peut jamais être un compromis peu convainquant puisqu'il s'agit là de la base d'une société démocratique. Comment expliquer à nos enfants que l'on doit respecter tout être humain si l'on veut être respecté soi-même si ce n'est valable que pour une partie de la société et que l'autre partie en est exclue? Quel droit permettrait aux uns d'exiger pour eux du respect et de la dignité si ce même droit n'est pas valable pour les autres? La cohésion sociale ne peut naître que du fait de chances égales et de dignité pour tous les membres de la société sans tenir compte de leurs origines ethniques ou culturelles.

En janvier 2008, le conseil d'Europe et la commission européenne ont lancé un programme pour démontrer l'efficacité des solutions interculturelles dans les villes et pour les faire avancer. Ce programme, intitulé "Villes interculturelles - gouvernance et stratégies pour la diversité dans les communautés ", a comme but l'échange des expériences faites dans ce domaine pour ensuite multiplier les bons résultats avec toutes les villes qui s'y intéressent.

Dans une ville interculturelle on admet que la diversité est la norme et qu'il est donc naturel que tout le monde fasse des concessions.

Les villes interculturelles n'acceptent pas la diversité comme un fait inévitable. Tout au contraire elles en profitent comme d'une source d'innovation, de créativité et de croissance. La ville interculturelle investit dans l'éducation, le système social, le logement, l'emploi, la culture, les espaces publiques et la conscience politique comme instrument pour participer à la formation de l'environnement et de la société. On s'engage pour que le dialogue soit possible et intensif et pour que l'échange interculturel reçoive une dimension tout à fait quotidienne. La ville interculturelle n'évite pas le conflit - mais elle se montre capable de tenir ce conflit dans un cadre démocratique et de le résoudre dans un intérêt commun. Elle développe des solutions adéquates, civiles ou juridiques, pour renforcer la compréhension et le respect mutuels et elle encourage ceux qui s'engagent pour cette vision d'une ville future dans laquelle tout et toutes profitent des mêmes chances et opportunités, des mêmes doits, droits humains, et de la même justice sociale!

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j'entends par droits humains.

Je vous remercie de votre attention.