IXe congrès de l’UDITE : Les futurs européens et les solutions locales

Cardiff, 4-5 septembre 2008

Discours de Ian Micallef, Président de la Chambre des pouvoirs locaux

Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Monsieur le Président sortant,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Je tiens tout d’abord à remercier l’Union des dirigeants territoriaux de l’Europe de m’avoir invité à participer à son IXe congrès, ici, à Cardiff.

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, notamment sa Chambre des pouvoirs locaux, entretient de longue date des relations étroites avec l’UDITE et l’on peut dire sans exagérer que nous nous sommes souvent, les uns et les autres, inspirés de nos travaux respectifs qui ont débouché à de nombreuses reprises sur des activités communes. J’en veux pour exemple la conférence européenne sur la fragilité du binôme exécutif élu/dirigeant territorial qui s’est tenue à Strasbourg au mois de janvier dernier.

Cette coopération est bien naturelle dans la mesure où nous, élus, devons faire appel à vous, responsables des administrations territoriales, pour mener concrètement notre action politique. Rien d’étonnant, donc, à ce que les trois thèmes de débat retenus pour cette conférence soient également primordiaux pour votre congrès – je veux parler du bien-être économique, social et environnemental de nos administrés.

Ces trois aspects mettent très pertinemment en évidence les principales lignes d’action actuelles des collectivités locales, ainsi que leurs relations :

- premier aspect, le développement de l’économie locale, qui doit tenir compte des problèmes environnementaux tout en étant étroitement lié à la qualité et à l’accessibilité des services publics et donc à la cohésion sociale de nos collectivités ;

- deuxième aspect, l’action sociale, qui vise à garantir les droits sociaux comme le droit au logement, à l’éducation et à la santé. Par ailleurs, les politiques en faveur de l’intégration des immigrés, de la protection des minorités, de la lutte contre la discrimination, de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la participation des jeunes ont toutes des répercussions sur l’économie mais dépendent également de celle-ci pour ce qui est de la création d’emplois, de l’emploi des immigrés ou des membres de minorités par exemple, de l’aide aux PME ou de la promotion de l’esprit d’entreprise ;

 - troisième aspect, enfin, l’environnement, qui apparaît surtout dans nos aspirations à construire des collectivités durables, autrement dit inclusives, cohésives, capables de subvenir à leurs propres besoins, concurrentielles dans l’économie mondialisée, économiquement saines, autrement dit, des collectivités où il fait bon vivre.

Mais n’est-ce pas là un rêve ? Faut-il rappeler ici, à Cardiff, sur le sol britannique, que John Prescott, alors vice-premier ministre du Royaume-Uni et actuellement chef de la délégation britannique à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a été l’ardent défenseur de l’idée de collectivité durable au Sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement du Conseil de l’Europe, à Varsovie, en mai 2005. Construire de telles collectivités est évidemment une mission des plus difficiles pour les pouvoirs locaux, et représente un enjeu considérable à tous les niveaux de gouvernance. Mais, je crois fermement que c’est par là que passe l’avenir de l’Europe.

Bonne nouvelle : il est parfaitement possible d’atteindre cet objectif. Pour vous en donner les raisons et avant d’examiner plus en détail chacun des aspects à l’ordre du jour de cette conférence, je souhaite, si vous le permettez, revenir sur le cadre politique dans lequel les mesures locales sont prises aujourd’hui. Vous saurez ainsi pourquoi je suis persuadé que nous pouvons y parvenir.

Il y a quelques jours seulement, le 1er septembre, nous avons célébré les 20 ans de l’entrée en vigueur de la Charte européenne de l’autonomie locale. Fait historique, la notion de démocratie locale, qui avait fait des progrès spectaculaires en Europe depuis 1957, était pour la première fois consacrée par un traité international. Mais la Charte ne se réduit pas à une simple reconnaissance du besoin de décentralisation ou à la concrétisation du pouvoir croissant des collectivités locales. Elle correspond à une révolution de la pensée, à l’émergence de l’idée selon laquelle le transfert de compétences en faveur des collectivités locales leur donnera les moyens de leurs politiques, associera de plus en plus d’acteurs au processus de décision politique et nous permettra de répondre aux grands enjeux sociétaux, bien trop écrasants pour que les gouvernements nationaux s’en chargent seuls.

La Charte pose les principes selon lesquels la démocratie locale est un élément constituant de tout régime démocratique et les collectivités locales devraient être dotées des compétences et des ressources nécessaires pour offrir un premier niveau de réponse aux citoyens. C’est grâce à cette évolution de la réflexion que l’on traite aujourd’hui des problèmes aussi variés – biodiversité, cohésion interne des collectivités et cohésion des relations entre collectivités, changement climatique et consommation durable, dialogue interculturel ou encore environnement urbain.

Qui aurait pu imaginer il y a 20 ans que les collectivités locales auraient à ce point voix au chapitre sur la politique nationale ? Qui aurait pu imaginer que les villes seraient des acteurs de premier plan sur la scène nationale, voire internationale et que l’expression « diplomatie des villes » verrait le jour ? Qui aurait pu imaginer que la bonne gouvernance au niveau local serait considérée comme faisant partie intégrante de la gouvernance nationale ?

Et pourtant, tout cela est aujourd’hui devenu réalité et notre conception de la démocratie et de la société démocratique ne cesse d’évoluer. Les collectivités, par leurs échanges, leurs réseaux, leurs organisations représentatives et la création de régions transfrontalières, deviennent progressivement une force avec laquelle il faut compter. Les gouvernements savent depuis longtemps qu’étant donné l’échelle et l’ampleur des problèmes actuels, et les attentes de plus en plus fortes des citoyens, sans le niveau local, ils ne pourraient pas apporter de réponses concrètes. L’expérience sociale, économique, environnementale - et j’ajouterais politique - des collectivités locales est un atout. Parce qu’elle est éminemment pragmatique, aucune théorie échafaudée au niveau national ne pourra la remplacer. Notre discours sur la construction d’une Europe des collectivités, d’une Europe des villes et des régions ne fait que mettre le doigt sur ce point. C’est pourquoi, au Congrès, nous pensons que le rêve est réalisable et c’est pourquoi je suis persuadé qu’une Europe des collectivités durables est tout aussi réalisable.

Venons-en maintenant aux trois thèmes – économique, social et environnemental – de la conférence qui sont également, dois-je le souligner, les principales composantes du développement durable. Le Congrès accorde une grande importance à ce dernier ; c’est même l’une de ses priorités.

Voyons ce qu’il en est du bien-être économique. Aujourd’hui, dans bien des cas, les collectivités locales sont le premier employeur du territoire qu’elles gèrent. Le développement économique d’un pays repose souvent sur l’économie des régions et de leur métropole. Notre objectif à ce jour est de réduire les disparités économiques entre les collectivités, ce que pourrait par exemple permettre la création de régions transfrontalières gérant conjointement les affaires économiques ou de réseaux de villes. Ces réseaux pourraient offrir un cadre pour coordonner les politiques et les mesures adoptées par les villes, échanger des expériences et des bonnes pratiques, s’informer mutuellement et investir dans les projets de villes partenaires.

Sur le même modèle, on pourrait également réduire les disparités dans les régions et entre régions, et contribuer ainsi à la cohésion territoriale à laquelle nous aspirons pour notre continent – et à laquelle travaillent à la fois le Congrès que je représente ici et sa Commission du développement durable mais aussi la Commission européenne et le Comité des régions de l’UE. Nous avons par exemple examiné, lors de notre session de printemps, un rapport sur les services publics d’intérêt général dans les zones rurales et adopté une recommandation sur ce que nous préconisons pour éviter la fermeture des hôpitaux, des écoles, des bureaux de poste, etc. dans les villages et les petites villes.

Les collectivités locales sont parfois, je viens de le dire, le premier employeur au niveau local. En tant que tel, elles peuvent peser sur la situation économique en facilitant l’intégration des immigrés, en encourageant l’esprit d’entreprise chez les immigrés, les femmes et les jeunes ou en soutenant les PME, par exemple. Je citerai seulement la ville de Stuttgart, qui a commencé à réviser ses procédures de recrutement de manière à faciliter l’emploi des immigrés et des personnes appartenant à des minorités, notamment en introduisant l’usage de leur langue. A cet égard, je dois dire que les procédures de recrutement municipal sont quelquefois excessivement restrictives, par exemple lorsqu’elles exigent des connaissances linguistiques pour des emplois où celles-ci ne sont pas indispensables (gardien, éboueur). N’oublions pas non plus que lorsque des immigrés sont installés au même endroit, ils créent des marchés et donc des emplois bien spécifiques.

Il va de soi que le bien-être économique est pour beaucoup dans la cohésion sociale. Le fait de réduire les disparités économiques au sein d’une collectivité ou entre des territoires limite les risques de frictions et de tensions. Cela étant, l’argent ne fait pas tout. Nous devons nous attacher à créer une « culture de l’égalité » englobant les aspects économiques, sociaux, écologiques et politiques. Il faut, par exemple, que tous les membres d'une collectivité soient égaux face à l'administration et à la loi, et jouissent d'une égalité dans la protection des droits, l’accès aux services publics, le traitement non discriminatoire, les chances d’obtenir un emploi et, enfin, la possibilité de jouir de l’environnement urbain et rural, qui dépend naturellement de l’adaptation de l’aménagement du territoire aux besoins des habitants. Je pourrais citer aussi la préservation des paysages, le compromis entre patrimoine et modernité ou l’accès à la culture, aux divertissements et aux activités sportives et de loisirs.

Autre élément déterminant pour l’amélioration du bien-être social et le renforcement de la cohésion sociale : la promotion du dialogue interculturel et interreligieux au niveau local. Les communautés multiethniques, multiculturelles et multilingues telles que celles que nous connaissons aujourd'hui ne peuvent vivre en harmonie en l’absence de la tolérance et du respect mutuel qui découlent de l’acceptation de la différence, de la connaissance de la culture de l’autre et de la compréhension de ses traditions. Le Congrès a énoncé 12 principes destinés aux collectivités locales, principes qui visent à favoriser ce dialogue localement et à créer les conditions d’un débat libre où chacun peut s’exprimer et être entendu.

Mesdames et Messieurs,

Une collectivité doit, pour être cohésive, n’exclure aucun de ses membres : elle doit donner à tous un sentiment d’appartenance, leur faire prendre conscience qu’ils peuvent participer aux décisions et à tous les aspects de la vie collective et leur offrir un environnement accueillant. Le bien-être social dépend en grande partie de la convivialité qui règne dans la collectivité. C’est pourquoi on assiste à une multiplication des réseaux de villes qui s’attachent à promouvoir différents aspects de cette « convivialité » – Villes pour les enfants, Villes européennes pour une politique locale d’intégration (CLIP), villes innovantes en matière de transport et d’énergie (Energy Cities) ou villes du processus de Berlin relatif aux politiques intégrées de jeunesse dans les quartiers défavorisés.

Le Congrès est très impliqué dans ces réseaux sans pour autant renier la philosophie globalisante qui sous-tend l’approche intégrée de ses travaux. Le bien-être environnemental ne se limite donc pas pour nous aux notions d’environnement naturel et de protection de l’environnement qui sont des éléments parmi d’autres dont nous tenons compte dans notre action en faveur d’un nouvel environnement urbain, un environnement caractérisé par l’équilibre entre développement économique et problèmes écologiques, zones industrielles et parcs naturels, sites historiques et quartiers modernes, un environnement familial et adapté aux enfants, qui tienne compte de la diversité biologique urbaine actuelle.

Cette réflexion philosophique se fonde sur la nouvelle Charte urbaine européenne ou Manifeste pour une nouvelle urbanité, adoptée par le Congrès lors de sa session plénière, fin mai dernier. Ce nouveau texte sera, je l’espère, une source d’inspiration pour vous et vos élus. Nous appelons en effet les collectivités locales à appliquer au jour le jour les principes énoncés dans la Charte et à réaliser ce nouvel idéal urbain.

Je pourrais également citer d’autres recommandations adoptées récemment par le Congrès, qui procèdent toutes de la même philosophie : recommandations sur la consommation responsable et durable, sur la biodiversité urbaine, sur l’adaptation au changement climatique, sur une nouvelle culture de l’énergie, sur l’enfant dans la ville et la réinsertion des enfants des rues ou sur la participation des jeunes, pour n’en citer que quelques-unes. Dans le domaine social, nous poursuivons notre travail sur des problèmes tels que l’intégration des immigrés, la sécurité urbaine et la police de proximité, la lutte contre la traite des êtres humains, la lutte contre la violence familiale, l’accès aux droits sociaux et la protection des minorités. Pourquoi ne pas rappeler également l’existence de textes plus anciens comme la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, la Charte européenne sur la participation des jeunes à la vie locale et régionale ou la Convention européenne du paysage.

Cependant, je le répète, il est maintenant temps de regrouper toutes ces pistes au sein d’une approche globale intégrée. C’est à cette seule condition que le mot durable prendra tout son sens et que nous pourrons explorer ces différentes pistes au service d'un objectif unique, la construction d’une Europe des collectivités durables. Je sais que vous partagez cette philosophie ; la conférence qui s’achève et les thèmes abordés l’ont clairement montré.

Le Congrès du Conseil de l’Europe et l’UDITE vont donc très certainement, et je m’en réjouis, continuer à travailler ensemble pour mettre cet objectif à notre portée – élus et administration la main dans la main, comme c’est le cas dans nos activités quotidiennes et comme le font nos deux organisations depuis des années. Je tiens à rendre tout particulièrement hommage à votre ex-président, maltais comme moi, M. Adrian Mifsud, pour avoir fait autant avancer notre coopération, pour avoir établi et entretenu des relations vivantes, et pour l’énergie qu’il a déployée afin d’assurer la réussite de notre collaboration.

Je vous remercie de votre attention.