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Jean-Paul Willaime :  « Connaitre les religions et dialoguer avec elles, c’est lutter contre les communautarismes »

Intervenant dans le cadre du débat sur le dialogue interculturel et interreligieux organisé durant la session plénière du Congrès, le sociologue des religions Jean-Paul Willaime a appelé les élus à locaux à mieux connaître et identifier la variété des religions pratiquées dans leurs villes ou leurs régions, mais aussi et surtout à dialoguer avec elles et à prévenir leur isolement.

29.05.2008

Question : Comme vous le rappelez dans votre rapport, les religions aussi se « globalisent » : on est passé de territoires « monoreligieux » à des espaces où se mélangent de nombreuses religions, souvent influencées les unes par les autres, et où priment les choix individuels. Comment se retrouver dans cet ensemble désormais très complexe ?

Jean-Paul Willaime : Au-delà des phénomènes de migrations qui ont entrainé avec eux des religions dans des régions où elles étaient auparavant peu présentes, nous vivons une époque d’ «identités flottantes » marquée aussi bien par la réaffirmation des identités de religions existantes que par l’irruption de religions nouvelles, ou de mouvements dont la nature exacte reste discutée, comme la scientologie. De plus, aujourd’hui, on peut changer de religion, ce qui était très rare autrefois. Il est très important que les élus locaux prennent conscience de ces phénomènes et de cette variété.

Question : Vous invitez les élus locaux à partir à la rencontre de ces nouveaux paysages religieux, mais comment entrer concrètement en rapport avec autant de mouvements, souvent mal connus ? 

Jean-Paul Willaime : Il existe désormais à Paris un « Institut européen en sciences des religions » qui peut, le cas échéant, former les élus locaux, comme d’autres groupes sociaux et professionnels, à la connaissance du fait religieux. Sur le terrain, les élus locaux devraient identifier les interlocuteurs de chaque communauté, ce qui n’est certes pas facile, car les structures varient grandement selon les religions : L’Islam, notamment ne dispose d’aucun clergé comparable à celui des Chrétiens. Il ne faut pas projeter « son » image de la religion sur les autres groupes, mais aller vers eux sans a priori. Une fois ce travail d’identification effectué, il est temps alors de nouer le dialogue.

Question : Pourquoi est-il si important de dialoguer avec les groupes religieux, et de les faire se rencontrer entre eux ?

Jean-Paul Willaime : Il est tout à fait contre productif de refuser de dialoguer avec une religion, même lorsque l’on rejette ses valeurs, parce que l’isoler revient à nourrir le communautarisme. Au contraire, créer des liens avec elle, s’est aussi l’obliger à se confronter au reste du monde, et à la mettre en situation de communication. Amener une religion à  rencontrer d’autres courants de pensée et à débattre avec eux, c’est sortir de son « entre-soi religieux ». Bien sûr, il n’est pas forcément facile de nouer des liens avec toutes les religions, et toutes n’y sont pas prêtes, mais l’élu local doit apprendre cette mission, afin de favoriser aussi l’interaction des identités religieuses, plutôt que leur seule juxtaposition. Plutôt que de pratiquer une neutralité d’observation, il faut privilégier une laïcité de reconnaissance et de dialogue, en mettant à la disposition des confessions des structures adéquates de discussion et d’ouverture vers l’extérieur. Il ne s’agit pas de gommer les différences, mais bien  d’intégrer à la vie citoyenne la diversité culturelle et religieuse de l’Europe actuelle.