15e Session Plénière du Congrés, 27-29 Mai 2008

Mardi 27 Mai 2008, 10h

Discours de Michel Guégan, chef de délégation de la mission d’enquête en Belgique (France)

Mesdames et Messieurs,

A la demande du Bureau de la Chambre des pouvoirs locaux, je me suis rendu en Belgique les 13 et 14 Mai derniers, accompagné du Rapporteur pour la Belgique de la Chambre des régions, Dobrica Milovanovic (Serbie), d’un expert (le vice-président du Groupe d’experts indépendants), et de 2 membres du secrétariat.

Cette mission avait pour but de clarifier la situation portant sur le refus du Ministre de l’Intérieur flamand, Marino Keulen, de nommer 3 candidats bourgmestres dans des communes à facilités.

Pour bien comprendre la situation, il me faut d’abord - et rapidement- vous exposer les faits :

Trois candidats bourgmestres ont participé à des élections communales qui se sont déroulées en octobre 2006 dans trois communes dites « à facilités » situées en périphérie bruxelloise. Les sièges obtenus sur leur liste respective leur ont permis d’être désignés confortablement par leur majorité municipale[1]. Toutefois, en vertu de la législation flamande en vigueur, c’est au Ministre de l’Intérieur du Gouvernement flamand qu’il revient de les nommer. Or, le Ministre Keulen refusa de les nommer aux motifs que ceux-ci avaient délibérément envoyé les convocations de vote en français aux électeurs francophones, et en néerlandais, aux électeurs néerlandophones. Ils auraient dû, selon le Ministre flamand, envoyer l’ensemble des convocations de vote en néerlandais, et faire un envoi en français uniquement sur demande expresse des électeurs qui le souhaitaient. D’autre part, les bourgmestres auraient toléré l’usage du français par certains membres de leur conseil municipal pendant les séances de ce conseil alors que seul le néerlandais constitue la langue autorisée. Les bourgmestres auraient ainsi contrevenu à plusieurs reprises à la législation telle qu’interprétée par le Ministre de l’Intérieur flamand. Ils n’ont donc pas été nommés. A ce jour, ils sont « bourgmestres faisant fonction » et occupent le siège du 1er échevin au sein de leur conseil municipal. 

Au cours de notre visite, nous avons rencontré des représentants des Gouvernement et Parlement flamands, dont, bien entendu, le Ministre Marino Keulen, ainsi que les 3 bourgmestres non nommés.

Nous avons aussi, DÉLIBÉRÉMENT, décidé de rencontrer des autorités qui n’étaient pas directement concernées afin de recueillir un avis plus « distancié » et une autre expérience de la cohabitation entre les communautés.

Le contexte politique dans lequel s’est inscrite cette mission - vous le savez - était particulièrement sensible.

Le respect de la Charte a été notre leitmotiv, notre seul objectif pendant cette mission et il nous a guidé tout au long de nos entretiens avec les différentes autorités.

Moi-même, ainsi que le Rapporteur pour la Chambre des régions, avons relevé principalement 5 points litigieux qui constituent des manquements à la Charte :

Le premier qui nous pose problème au regard de la Charte, c’est le trouble dans la gestion des affaires publiques que cause cette non-nomination des 3 bourgmestres.

Depuis janvier 2007, il n’y a pas de bourgmestre nommé dans aucune de ces 3 communes. Le délai dans lequel les bourgmestres attendent d’être nommés n’est pas raisonnable, et cela entrave la bonne marche de la gestion de la commune.

Le deuxième concerne la question de la participation à la vie politique locale. Les 3 communes à facilités sont peuplées d’une population majoritairement francophone, or l’obligation qui est faite aux membres du Conseil municipal de ne s’exprimer qu’en néerlandais (y compris dans l’envoi des convocations de vote) n’est sûrement pas de nature à encourager leur participation à la vie politique locale.

Le troisième est celui soulevé par le Bureau de la Chambre des pouvoirs locaux dans son courrier adressé au Ministre Keulen et concerne la disproportion résultant de la non-nomination par rapport à la nature des fautes qu’auraient commises ces bourgmestres qui auraient pu faire l’objet de sanctions moins radicales si une autre voie avait été choisie.

Le quatrième me semble en contradiction flagrante là encore avec l’esprit même de la Charte en ce qu’il porte sur la tutelle - forte - qu’exerce l’exécutif sur ces communes dites « à facilités ». La nomination du bourgmestre, dont la liste a été élue, par le Ministre flamand (après avis du Gouverneur de Province et du procureur du Roi ) qui dispose à cet égard d’un pouvoir discrétionnaire, montre à quel point cette tutelle frôle même une ingérence de la part du pouvoir exécutif.

Enfin, le cinquième et dernier point a trait au non-respect de la recommandation du Congrès 131 (2003). Le texte de la recommandation encourageait  les autorités belges à s’affranchir du système de nomination des bourgmestres pour passer à un système d’élection directe, à ratifier la Charte européenne des langues minoritaires et régionales ainsi que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Je vous rappelle que la Belgique a signé la Charte en 1985, et l’a ratifiée en 2004.

A ce titre, la Belgique  DOIT se conformer à ses engagements.

Je voudrais m’arrêter un instant sur un point qui est revenu fréquemment dans nos discussions et qui a trait à l’absence de recours formé par les candidats bourgmestres. Les bourgmestres ayant choisi de tenter une seconde, et dernière fois, de soumettre leur candidature au ministre (comme cela leur est permis), ils n’introduiront très probablement un recours devant le Conseil d’Etat qu’en cas de nouveau refus du Ministre. En tout cas, telle est ma recommandation : qu’ils forment un recours devant une instance juridictionnelle en cas de nouveau refus.

Plus généralement, la situation dans ces communes à facilités révèle des problèmes qui concernent d’autres pays.

Il y a d’abord la question des réserves. L’article 12 de la Charte permet aux pays qui l’ont ratifié de poser des réserves sur certaines dispositions de la Charte.

Les réserves portent sur des dispositions qui ont pourtant leur place et leur raison d’être dans le texte même de la Charte. C’est pourquoi, la question de la portée effective de la Charte et donc de sa force contraignante dans les pays qui les ont posées est une question intéressante qu’un monitoring transversal pourrait venir clarifier.

La question de l’existence et de la nature d’une instance d’arbitrage efficace dans un Etat fédéral essentiellement à base linguistique se pose également. Un organe judiciaire indépendant et impartial, dans sa composition (Chambres à parité linguistique par exemple) et dans son fonctionnement, est une des clefs de la cohésion entre les entités fédérées.

Enfin, il me semble important aussi de noter que des problèmes tels que ceux rencontrés en Belgique dans le domaine linguistique semblent avérés dans d’autres pays d’Europe ayant ratifié la Charte de l’autonomie locale. Les Rapporteurs considèrent que ces points d’ordre linguistique ont un impact certain sur la vie politique locale et devraient faire l’objet d’un examen nouveau par le Congrès.

Voilà, en résumé, ce que l’on peut dire des premières constatations de cette visite à la lumière des dispositions de la Charte.

Je vous informe que  le Bureau du Congrès a décidé hier de transmettre mes conclusions à la Commission Institutionnelle afin qu’elle se prononce sur les suites concrètes à donner à cette visite d’enquête. Il s’agira alors de décider d’élaborer une recommandation immédiate à l’attention du Comité des Ministres, ou bien d’effectuer un monitoring général de la Belgique, ou bien les deux.

Mesdames et Messieurs, je suis convaincu que le Congrès avec ses procédures, avec son texte de référence, LA CHARTE, signée et ratifiée par la Belgique, peut faire évoluer cette situation dans le sens d’une meilleure cohabitation des communautés.

Ce ne sera pas facile, mais c’est la seule voie qui s’ouvre à nous.

Je vous remercie.



[1] Linkebeek : 10 sièges sur 15 ; Kraineem : 18 sièges sur 23 et Wezembeek-Oppem : 18 sièges sur 23