Conférence européenne «executif elu et dirigeant territorial : un binome a l’equilibre fragile»

Strasbourg, 17-18 janvier 2008

Conclusion de Jean-Claude van Cauwenberghe, (Belgique, SOC), membre du Groupe de travail sur les régions avec pouvoir législatif

Messieurs les Présidents,

Chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Au nom du Congrès, je souhaite tous vous remercier pour la qualité des discussions que nous avons eues au cours de cette journée et demie autour, finalement, d’une question sous-jacente à l’application combinée des articles 3 et 6 de la Charte européenne de l’autonomie locale, et demain de normes équivalentes qui figureront dans la Charte européenne de la démocratie régionale.

Que l’on soit côté responsable politique ou côté dirigeant territorial, notre réunion l’aura confirmé, l’objectif est le même : contribuer au bien-être de nos concitoyens en les assurant des meilleurs services possibles au meilleur coût.

Pour le citoyen, peu importe finalement comment nous nous y prenons pour aboutir à l’efficacité voulue !

Une discussion « algébrique » a conduit plusieurs intervenants à contester la qualification de binôme, lui préférant celle de trinôme ou de polynôme. Ils l’ont fait tant, sur le banc politique, en précisant que dans beaucoup de pays, il n’y avait pas d’unicité du leadership politique car il existe des adjoints au maire ou des collégialités politiques, que sur le banc administratif où il existe aussi des pluralités d’acteurs détenant les responsabilités des responsables territoriaux.

Je me suis questionné par ailleurs sur la question de savoir si, dans une autre approche, nous ne devrions pas parler de trinôme en incluant dans l’équation, le citoyen, destinataire premier de nos actions, dont les exigences et les attentes évoluent plus vite que nos capacités à répondre à leurs besoins.

Un citoyen qui ne se contente plus d’être « un administré » mais bien un « administrant » participant également à la gestion de la cité.

S’agissant de cette recherche d’efficacité, Yavuz Mildon, notre président de la Chambre des Régions, nous a en effet rappelé que cela exigeait une action politique qui soit menée grâce à un partenariat – mieux encore, grâce à une synergie- entre les représentants élus et les dirigeants territoriaux.

Une collaboration qui se déroulera sous l’empire de l’éthique, de l’efficience,de la transparence, de l’impartialité, de la bonne foi pour reprendre quelques critères cités par Joao Dias Pacheco.

Toute la difficulté réside précisément dans la qualité et la nature des relations interinstitutionnelles entre l’organe exécutif politique et l’organe administratif, et dans l’organisation de leur équilibre.

Nataliya Romanova a d’ailleurs parlé d’un « équilibre dynamique ». Il me semble que cette expression heureuse reflète bien l’aspect positif que l’on peut trouver dans la fragilité constante qu’il y a dans les rapports entre ces deux organes.

Equilibre fragile qui exigera constamment, de part et d’autre, adaptation, compréhension de la planète de l’autre, réactivité et respect mutuel, ce que Mike Bennett a résumé en un mot « interdépendance ».

Autant la gestion performante de la chose publique a besoin de la collaboration harmonieuse de l’élu et du fonctionnaire dans son acception la plus noble, autant ce sont « des êtres différents », pour reprendre l’expression de Jacques Bouvier.

Si l’on radioscopie l’élu et le dirigeant territorial, on constate qu’ils ont chacun leurs forces et leurs faiblesses.

L’élu chargé de fonctions exécutives a comme force : sa légitimité démocratique, un mandat des citoyens d’exécuter un projet politique (même si ce mandat n’est pas toujours précis) et un impact collectif de ses décisions. Sa faiblesse provient de son hypersensibilité à l’opinion publique, de son électoralisme souvent inné, de sa formation de gestionnaire parfois déficiente, du côté temporaire et aléatoire de ses responsabilités, et enfin du fait que le responsable politique ne choisit pas toujours lui-même sa propre équipe politique.

Le responsable territorial a comme force son professionnalisme, l’indépendance de son expertise technique et en général la continuité dans l’action même si, comme l’a souligné Didier Duraffourg, la précarité devient de plus en plus la règle dans bien des pays où le dirigeant est évalué sur ses performances gestionnaires.

 

Sa faiblesse peut provenir d’une tendance à raisonner sur un plan théorique ou légal, à réfléchir dans sa tour d’ivoire, à penser parfois que les indicateurs de gestion remplacent ceux du bien-être humain.

Le responsable territorial peut aussi être écartelé entre deux dangers opposés : se prendre pour le politique ou, à l’inverse, se réfugier dans l’opportunisme de la soumission aveugle à la volonté du politique.

Leur point commun est malheureusement une perte de confiance dans l’opinion publique vis-à-vis tant du politique que de l’administration en général.

En fait, j’ai l’audace de penser qu’en termes de forces et faiblesses, chaque élément du binôme devra acquérir un peu des forces de l’autre comme par exemple, pour le politique, accroître sa capacité gestionnaire au risque d’être sous la tutelle technocratique accrue du dirigeant territorial, tandis que ce dernier devra veiller à mieux aider le politique à répondre de façon non bureaucratique aux exigences accrues de la population.

Hier, j’ai entendu développer des concepts qui m’ont quelque peu perturbés à savoir le choc, non pas des civilisations, mais celui des légitimités.

Légitimité populaire et irrationalité de la décision politique  versus légitimité technocratique et rationalité de la décision administrative.

La première est pour moi une notion absolue, la seconde légitimité n’est que relative car elle ne peut s’y opposer.

Dans le premier cas, il s’agit de légitimité ; dans le second, il s’agit de capacité et d’autorité professionnelle !

Il résulte heureusement sans conteste des débats, que la primauté en démocratie doit rester au politique et que l’administration, comme l’a dit Hans Martin Tschudi, ne peut devenir, pour reprendre ses termes, « un pouvoir autonome, un 4ème pouvoir ».

Lars Molin a abondé dans le même sens au nom de la souveraineté populaire.

Nombre d’intervenants ont fortement insisté pour que les champs des compétences des uns et des autres soient bien délimités.

L’incertitude ou l’imprécision à cet égard, ne peuvent être que cause d’instabilité ou source de déséquilibre dans un sens ou un autre entre les termes du binôme.

Faut-il fixer ces champs de compétences de façon précise et détaillée par la loi ? Ou bien faut-il formuler la chose de façon légale mais générale ? Ou faut-il laisser tout simplement au pragmatisme de terrain le soin de définir les modalités de cette collaboration réciproque ?

Au-delà des institutions et des fonctions, très différentes, nous en avons eu confirmation, d’un pays à  l’autre, ce sont toujours des hommes et des femmes qui seront responsables de l’équilibre du binôme, au-delà des règlements et des normes.

Leurs qualités humaines, « leurs personnalités » pour me référer à Hubert Kearns seront donc déterminantes.

1)  La confiance réciproque comme l’a souligné Michel Guégan sera donc un élément capital dans cette approche.

2) Faut-il ouvrir une agence matrimoniale en annexe de l’Hôtel de Ville comme le suggère l’exemple hollandais cité par Emma De Lange

3)  Faut-il que cette confiance réciproque s’alimente à la source d’une complicité politique ?

La question a été, à plusieurs reprises, posée et Didier Duraffourg a évoqué sans en donner la formule, l’alchimie subtile entre neutralité et politisation.

La vérité étant sans doute in medio virtus, médiane difficile, entre une neutralité qui permet au dirigeant territorial de toujours dire et faire ce que lui dicte sa conscience et son expertise, et la nécessité de ne pas s’opposer au projet du politique auquel il doit prêter son concours sans réticence et avec créativité, même s’il ne partage pas personnellement l’opportunité politique.

C’est toute la question de l’étendue évolutive de ce que Stéphane Pintre a qualifié de « devoir de conseil » qui va, de façon basique, au fait d’avertir le politique du risque d’illégalité d’une décision qu’il compte prendre jusqu’à la participation active à la définition de stratégies de la collectivité territoriale.

On peut encore retenir de nos débats que dans tous les pays dont on nous a rapporté les pratiques, il y a une réflexion pour ne pas dire, des revendications, quant au statut du dirigeant territorial à qui l’on demande de plus en plus, dont la responsabilité est judiciairement exposée, et dont les résultats de gestion peuvent influencer la suite de leur carrière.

En nos temps troublés, complexes et décentralisés, être dirigeant territorial n’est plus une promenade de santé. Pour faire bonne mesure, pensons que la responsabilité politique, en ces temps de « zapping » politique n’est pas non plus un long fleuve tranquille.

Pour guider les relations de ce binôme, peut-on définir un cadre européen commun ? Peut-on imaginer un modèle de type européen pour le dirigeant territorial qui, comme l’a suggéré l’intervenant espagnol, pourrait déboucher sur une mobilité européenne pour ce type de fonction ?

Il reste du chemin à parcourir pour y parvenir mais nos travaux de grande qualité auront certainement permis d’éclairer ces questions essentielles pour le bon fonctionnement des socles de base de nos démocraties que sont les communes et les régions.

C’est un élément substantiel apporté à l’analyse comparée des pratiques en la matière que réalise notre groupe d’experts sur la Charte de l’autonomie locale, à la demande de la Commission institutionnelle du Congrès qui soumettra un rapport à ce sujet au Congrès.

Je suis persuadé que chacun, dans ses actions futures, fera bénéfice de tout ce qui s’est dit au cours de cette conférence et je vous remercie pour la qualité de votre participation.