Conférence internationale « Associer les collectivités territoriales Pour plus de cohésion démocratique »

Novi Sad, Serbie, 8 octobre 2007

Discours par Pascal Mangin, Adjoint au Maire de Strasbourg, Membre du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Dans ces études du XIX siècle, Alexis de Tocqueville, un homme politique et historien français, s’est penché sur une question : Que voulons-nous quand nous voulons toujours plus de démocratie? Le savons-nous? Et si nous le savions, le voudrions-nous vraiment? Aujourd’hui, un siècle et demi plus tard, nous nous posons les mêmes questions : Qu’est-ce que nous attendons de la démocratie ? Qu’est-ce qu’il nous faut faire pour assurer plus de cohésion démocratique en Europe ? Quelles formes la gouvernance moderne doit-elle prendre ? Plus important, qu’est-ce que nos concitoyens, nos populations attendent de la démocratie et de nous, les hommes politiques, les élus à qui ils ont fait confiance de les gouverner ?

Pourtant, aujourd’hui nous vivons une époque différente de celle de Tocqueville. L’Etat centralisé, quoique démocratique, ne correspond plus, lui tout seul, aux attentes de nos peuples. Les décennies de l’expérience démocratique, surtout après la Deuxième Guerre mondiale, et plus récemment après la chute des régimes communistes en Europe, ont transformé, ou sont toujours en train de transformer, nos sociétés d’une manière prédite par Tocqueville lui-même – dans une société au centre de laquelle se trouve un être humain de nouveau type : un homme démocratique.

Ceci, reconnu par la classe politique et les gouvernements nationaux, a déclenché le processus de décentralisation, accéléré par l’unification de notre continent sur la base des valeurs et principes démocratiques. Lors de cette conférence, nous avons beaucoup parlé de la dévolution du pouvoir et du transfert des compétences aux collectivités territoriales, en reconnaissance de leur importance croissante dans la vie politique, économique et sociale, leur donnant ainsi plus d’autonomie.

Mais, s’agit-il de donner ou redonner plus d’autonomie ? En fait, nous pouvons qualifier ce processus comme « le retour vers le futur ». C’est à la place d’Agora à Athènes, au niveau de la ville, au niveau (comme nous disons aujourd’hui) municipal que la démocratie trouve ses racines. En effet, elle a commencé en tant que démocratie locale, avant de donner naissance aux nations démocratiques. C’est pourquoi, quand nous parlons d’une Europe des Régions et des Villes, d’une Europe des collectivités territoriales, à qui appartient le futur démocratique, nous revenons en fait aux racines.

Mesdames et Messieurs, 

Le thème principal de cette conférence est « Associer les collectivités territoriales pour plus de cohésion démocratique ». Ce thème n’a pas été choisi au hasard. Les instances locales et régionales sont le ciment de l’édifice démocratique. L’action publique démocratique trouve ses racines dans la démocratie territoriale car les autorités locales et régionales aujourd’hui sont au croisement de toute activité, que ce soit la sécurité nationale ou urbaine, la protection de l’environnement, l’intégration des migrants, la lutte contre le traite des êtres humains, ou l’aménagement du territoire, par exemple. Etant au niveau le plus proche des citoyens, les autorités territoriales légitiment l’action nationale pour faire adhérer la population. Cela n’est pas étonnant car les citoyens font plus confiance aux pouvoirs dans leurs collectivités qu’au niveau plus éloigné – dont un exemple parlant sont les référendums sur le Traité constitutionnel de l’Union européenne.

Cette omniprésence politique des pouvoirs territoriaux nécessite leur intégration à plein temps dans les processus aux niveaux national et international, pour une meilleure cohésion démocratique au sein de nos sociétés et entre les différentes strates de gouvernement, ainsi que pour une gouvernance démocratique plus efficace. D’où l’importance de la stratégie européenne d’innovation et de bonne gouvernance, proposée par le Conseil de l’Europe, que nous avons discutée aujourd’hui et qui sera présentée lors de la conférence européenne des ministres responsables des collectivités territoriales, les 15 et 16 octobre prochains, à Valence. J’ajouterais que les participants de cette conférence à Novi Sad ont clairement affirmé l’importance d’une telle stratégie pour les autorités locales et régionales.

Mesdames et Messieurs,

L’objectif de cette conférence était de montrer que l’Etat ne peut s’exprimer aux citoyens sans passer par le niveau régional et local. D’un autre côté, les pouvoirs territoriaux ne peuvent pas s’adresser aux niveaux national et international sans les institutions les représentant, c'est-à-dire leurs associations. Tandis que les parlementaires ont des organes les réunissant – parlements nationaux – les pouvoirs territoriaux ne se disposent que de leurs associations. C’est pourquoi aujourd’hui le créneau occupé par les associations est de facto indispensable pour la gouvernance démocratique efficace, pas uniquement au niveau local et régional mais aussi au niveau national voire international.

Les associations sont un véhicule utilisé par les pouvoirs territoriaux vis-à-vis, d’un côté, des gouvernements nationaux et, de l’autre côté, des institutions internationales telles que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.

Le Congrès a compris l’importance des associations et de leur rôle et le reconnait à travers son action pour la coopération renforcée avec elles. En fait, aujourd’hui le Congrès est passé au-delà de son soutien aux associations nationales, cherchant à créer et à engager leurs réseaux au niveau régional et au niveau européen. Nous avons écouté aujourd’hui les représentants de NALAS, le réseau des associations de pouvoirs locaux en Europe du Sud-est, un réseau qui est un excellent exemple de la coopération synergique du Congrès avec les associations mais aussi un exemple de son engagement  à impliquer davantage les associations et leurs réseaux en tant que partenaires du Congrès.

Dans l’Europe du Sud-est, en particulier, les pouvoirs territoriaux ont joué un rôle clé pour assurer la réconciliation sur le terrain des collectivités multiethniques déchirées par la guerre. En reconnaissance de ce rôle, le Congrès s’est mobilisé pour créer un réseau des agences de la démocratie locale, les ADL, soutenues par l’adhésion active de pouvoirs locaux de cette région. L’expérience des ADL en matière de renforcement de la démocratie locale, d’amélioration de la gouvernance au niveau territorial et de mesures de confiance entre de différents groupes ethniques a permis de créer une Association des ADL et d’étendre aujourd’hui leurs projets sur le terrain au Caucase du Sud, une autre région d’Europe longuement perturbée par des conflits.

Je pourrais mentionner d’autres réseaux actifs aujourd’hui, dont un nombre important au niveau municipal – les villes pour les enfants, une excellente initiative de la Ville de Stuttgart ; les villes pour la paix, y compris l’Alliance municipale pour la paix au Proche Orient, l’initiative de l’association de pouvoirs locaux des Pays-Bas ;  les villes pour les droits de l’homme ; ou le processus de Berlin visant à intégrer la jeunesse dans les quartiers défavorisés,  parmi d’autres. Ces réseaux, qui reflètent la croissance du pouvoir de villes et leur implication accrue dans la gestion des affaires aux niveaux national et international – ce qui a reçu l’intitulé de « City Diplomacy », la diplomatie de la ville – ces réseaux ne peuvent pas néanmoins se passer de l’appui des associations nationales qui servent de base à l’action des réseaux. Bien évidemment, cela est valable aussi pour les réseaux européens des autorités régionales, telles que le CCRE et l’ARE, ainsi que le Comité des Régions de l’Union européenne, qui sont parmi les participants de cette conférence.

A son tour, le Congrès doit également, lui aussi, s’appuyer dans son action sur les associations nationales, ce qui était un des thèmes de notre conférence aujourd’hui. Les discussions pendant cette conférence ont montré qu’il est prévisible d’avoir de nombreuses formes de partenariat entre le Congrès et les associations, d’un côté, et, de l’autre côté, au sein du triangle « les collectivités territoriales – associations de pouvoirs locaux et régionaux – gouvernements nationaux ». Tel est l’axe de l’action démocratique publique pour le bénéfice de nos concitoyens, d’où la nécessité d’impliquer étroitement les associations nationales et leurs réseaux dans la mise en œuvre de la stratégie d’innovation et de bonne gouvernance.

Mesdames et Messieurs,

En conclusion, je voudrais remercier la présidence serbe du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe ainsi que les autorités de la province de Voivodine, et plus particulièrement l’Assemblée de Voivodine et son Président Bojan Kostres, de cette initiative qui sert à lancer un débat politique dont nous avons besoin aujourd’hui – un débat sur le rôle et l’action des associations nationales et leurs réseaux.

Et si vous me permettez une remarque, je trouve symbolique que cette conférence a eu lieu dans la ville de Novi Sad – une ville dont le nom se traduit comme « nouveau jardin ». Je le trouve symbolique parce que le mot « jardin » est significatif d’une proximité au terrain, aux racines, ce qui symbolise pour nous au Congrès la proximité démocratique à nos concitoyens. Bien entendu, « nouveau » est un symbole d’un nouveau commencement, un nouveau système de gouvernement, une nouvelle et meilleure gouvernance démocratique pour nos collectivités. Aujourd’hui, avec l’unification de l’Europe, nous avons une chance historique d’avancer la démocratie sur notre continent, de répondre à la question de ce que nous attendons de plus de cohésion démocratique, et de rendre la vision d’Alexis de Tocqueville réalité.

Mettons ensemble nos forces pour y aboutir.