Conférence européenne sur «  La dimension religieuse du dialogue interculturel »,

Saint-Marin, 22-24 avril 2007.

Discours du Président de la Chambre régionale du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux, Yavuz Mildon

 « Le dialogue interculturel et interreligieux, une chance pour la démocratie »,

Cette réunion à Saint-Marin est un moment privilégié pour progresser ensemble sur le chemin du dialogue interculturel et interreligieux que nous souhaitons tous promouvoir en accord avec les règles constitutionnelles de nos pays membres et en fonction des grands principes ancrés dans la « Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l’Europe.

Notre objectif est d’entendre, d’apprendre, d’échanger et de proposer des pistes de réflexion afin de traduire dans la réalité, sur le terrain au plan local, régional, national et européen, un dialogue interculturel et interreligieux menant à une meilleure compréhension mutuelle.

Dans cette perspective je suis convaincu qu’il est fort utile de disposer de points de repère permettant de s’orienter en s’appuyant sur quelques principes de base pour pouvoir s’engager sur la voie du dialogue.

C’est pourquoi je souhaite porter à votre connaissance quelques éléments de réflexion sur lesquels notre Congrès a commencé  à ’engager la discussion.

Le débat s’est mis en place autour de « douze principes », douze idées, permettant de créer un climat de confiance, indispensable au bon déroulement du dialogue interculturel et interreligieux, sur le plan les collectivités territoriales.

Permettez moi de citer Vaclav Havel, lors de sa visite au Conseil de l’Europe, en 1990 :

«  Pour moi les douze étoiles de votre emblème signifient que l’on pourrait vivre mieux sur terre si l’on osait de temps en temps lever les yeux vers les étoiles ».

Le Congrès vous invite à lever les yeux au-delà des problèmes politiques et économiques du moment pour élaborer ensemble quelques idées, qui vous pourrait servir de fil conducteur dans un monde globalisé pour s’engager ensemble sur la voie du dialogue avec l’autre.

Le dialogue est un instrument au service d’une action commune, mais aussi et surtout constitue une valeur en lui-même. Parce qu’il permet l’ouverture à l’altérité, il invite à la constitution d’une force d’écoute et de proposition fondée sur la solidarité et l’action collective.

Les références de base de toute initiative politique prise par le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux sont le respect des Droits de l’Homme, la Démocratie pluraliste et l’Etat de droit.

Permettez de rajouter à ces grands principes que nous partageons tous, la référence faite dans la Convention européenne des droits de l’homme à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

«  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

Le Conseil de l’Europe a toujours joué un rôle moteur dans le domaine de la protection des droits de l’homme (et je rajoute volontairement de la femme), d’une démocratie pluraliste vivante et ouverte aux changements d’une société en mouvement, ainsi qu’à la promotion de l’état de droit, qui inclut aussi bien la notion des droits que des devoirs de tous les citoyens.

Je souhaite exprimer ma reconnaissance au Comité des Ministres et à la présidence de Saint-Marin, d’avoir pris l’initiative d’approfondir la réflexion sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, notamment dans le cadre des travaux entrepris au niveau du Groupe de réflexion ad hoc (GT-REF.DIR).

Ces travaux peuvent prendre appui sur l’engagement du Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et sur les contacts fructueux établis par ce denier avec les différentes communautés religieuses, ainsi que sur les résultats, enregistrés lors de la Conférence internationale, sur le « Dialogue entre les cultures et la coopération interconfessionnelle », les 7-9 septembre 2006, à Nizhniy Novgorod en Russie, à laquelle j’ai eu l’honneur de pouvoir participer.

Nous pouvons constater que le dialogue interreligieux est devenu un vecteur central de ce dialogue interculturel : les manifestations sociales des croyances et l’impact des organisations religieuses débordent la sphère privée et prennent place de façon de plus en plus visible dans la sphère publique.

Nous assistons dans la majorité des pays membres du Conseil de l’Europe, à un double mouvement plus ou moins concomitant : d’une part, le renforcement des compétences des autorités territoriales, par voie de décentralisation, et, d’autre part, l’affirmation des communautés religieuses locales et, parfois, l’acquisition à leur bénéfice de gains d’autonomie.

Ce double mouvement constitue en lui-même une conjoncture singulière qui porte l’acteur politique à s’intéresser davantage aux relations qui peuvent s’engager entre autorités politiques et religieuses locales en charge d’un même territoire.

Cette tendance devrait nous inciter tous à multiplier les analyses comparatives susceptibles de faire ressortir les similarités et les différences observables dans les pratiques nationales et dans les pratiques locales sur la base de quelques questions simples:

Comment se construit et s’institutionnalise le dialogue interreligieux ?

Quelle part y prennent les représentants des pouvoirs locaux et, surtout, quelle part nouvelle pourraient ils y prendre à l’avenir ?

L’enjeu politique est d’autant plus important que la composante religieuse – explicite ou implicite des conflits urbains constitue un véritable défi pour les détenteurs de la puissance publique : sur leur territoire d’intervention, ceux-ci ont d’abord à comprendre comment et pourquoi certains de leurs concitoyens actifs appuient leur affirmation identitaire et leur stratégie d’action sur leur appartenance et leurs croyances religieuses, comment et pourquoi cette appartenance culturelle et ces croyances religieuses offrent à ceux qui s’en réclament une réponse à leur quête de sens en même temps que des ressources pour élaborer un répertoire d’actions tenues pour pertinentes et efficaces.

Permettez moi d’évoquer ici le témoignage du maire de Mulhouse, président de l’Association des maires de grandes villes de France, qui illustre bien cette tendance générale du regain du religion dans la sphère politique : « Un fait majeurs, apparu depuis une trentaine d’années, s’impose : désormais la majeure partie des demandes culturelles émane de religions - notamment la religion musulmane – pratiquement inexistantes en France en 1905. C’est en fonction de ce cadre totalement nouveau que mes collègues maires de grandes villes et moi-même nous sommes engagés depuis plusieurs années dans une politique de reconnaissance de l’islam et de facilitation de son culte.

Ce besoin de reconnaissance s’exprime sous diverses formes, qu’il s’agisse de la construction de lieux de prières, de respect des coutumes, de recherche d’interlocuteurs représentatifs du culte, ou d’initiatives prises à propos de l’enseignement du fait religieux ».

L’enjeu que représente l’islam devrait nous conduire à réexaminer les rapports entre religions dites « majoritaires » et religions dites « minoritaires », dans nos différents pays membres pour décloisonner nos points de vue et élargir nos connaissances sur les références culturelles et religieuses de l’autre.

C’est donc au sein de nos villes et nos campagnes, au niveau de l’espace public local et régional que se pose, avec de plus en plus acuité, l’implication des représentants politiques locaux, régionaux et nationaux, dans l’amorce et le développement de ce dialogue interculturel et interreligieux.

A notre avis quelques principes de base devraient servir de plateforme aux autorités locales et régionales qui souhaitent s’engager dans la démarche du dialogue interculturel et interreligieux.

Selon nous, elle devrait s’inscrire sur quatre plans complémentaires :

Les autorités locales sont en première ligne et ont toute légitimité pour prendre en compte les activités religieuses du fait de leur présence active sur le terrain et de leur capacité à bien connaître les interlocuteurs.

Au Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux nous pensons que les autorités locales ont avant tout à jouer un rôle de facilitation, de médiation et le cas échéant, de régulation sur la base d’objectifs clairement définis et négociés.

La place des autorités territoriales dans l’impulsion du dialogue et dans l’instauration de relations partenariales s’avérera d’autant plus pertinente et durablement efficace que seront respectées certaines conditions instauratrices d’équité et d’équilibre :

En jouant la carte de la reconnaissance et de la confiance mutuelle, les autorités locales perçoivent  et instaurent le religieux non plus en problème mais en ressource en vue de l’adoption d’attitudes favorables à la gestion démocratique et équitable du pluralisme qui s’offre à nous dans nos sociétés. 

Les confessions religieuses ne sont pas seulement des pourvoyeuses de rites ou de services sociaux ou autres. Elles contribuent d’abord à la socialisation de leurs membres et participent à la formation de leur identité individuelle et collective, sociale et territoriale.

Elles sont aussi créatrices de liens avec les lieux de culte, leurs implantations dans la ville et la région, et l’interaction qui se met en place entre les différents utilisateurs des lieux.  Par là même ils sont aussi un vecteur à la fois de construction de l’esprit du lieu et de la conscience de la place.

Elles forgent l’imaginaire de leurs membres, forment ceux-ci à la pensée symbolique et les dotent pour partie de leurs références culturelles.

Cependant il apparaît d’autant plus clairement, qu’à nos yeux, les autorités locales n’ont pas à s’immiscer directement dans la conduite du dialogue interreligieux : au nom des principes de subsidiarité et d’autonomie du religieux.

Le dialogue interculturel tel que celui envisagé par le Conseil de l’Europe dans le cadre du processus d’élaboration du « Livre blanc sur le dialogue interculturel » est basé sur l’échange et le respect mutuel.

Le Congrès partage cette approche.

 «  Le dialogue est un échange de vues ouvert et respectueux entre des individus et des groupes appartenant à des cultures, qui permet de mieux comprendre la perception du monde propre à chacun ».

Pour conclure, je vous invite tous, à aborder le dialogue du point de vue des autorités territoriales, dans un esprit de neutralité délibérée, le dialogue interreligieux fait appel à la raison et non à la foi, à la connaissance et non à la croyance.