SESSION DE PRINTEMPS CG(13)39PART2

(Strasbourg, 26-28 mars 2007)
COMMISSION PERMANENTE
COMMISSION DE LA COHESION SOCIALE

L’élaboration d’indicateurs de la cohésion sociale - L’approche territoriale concertée -

Rapporteur: Valerio PRIGNACHI, Italie
Chambre des pouvoirs locaux, groupe politique : PPE/DC

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EXPOSE DES MOTIFS

Résumé du rapport :

La Stratégie de cohésion sociale révisée du Conseil de l’Europe définit la cohésion sociale comme « la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres, à minimiser les disparités et à éviter la polarisation. Une société cohésive est une communauté solidaire composée d’individus libres poursuivant des buts communs par des voies démocratiques ».

Cette approche, préconisée par le Guide méthodologique pour l’élaboration concertée des indicateurs de cohésion sociale, publié par le secteur intergouvernemental de la cohésion sociale du Conseil de l’Europe, traduit l’acceptation de la responsabilité partagée du bien-être de tous les membres de la société. Sa mise en œuvre implique un processus de concertation avec les acteurs sociaux ainsi que l’identification d’indicateurs de cohésion sociale permettant ultérieurement de mesurer si les politiques sociales conduites ont répondu à ces attentes.

Les pouvoirs locaux et régionaux ont un rôle crucial à jouer dans le processus de dialogue démocratique pour la cohésion sociale ; le Congrès est ainsi convaincu de l’utilité de donner au Guide méthodologique un prolongement pratique au niveau des pouvoirs locaux et régionaux, et décide de mener en 2006-2007, une expérience sur le terrain, en partenariat avec la Ville de Mulhouse.

Cette application concrète de la méthodologie a permis de valider l’intérêt de la démarche, notamment en termes de dialogue social, de participation citoyenne et de démocratie locale et le rapport ainsi que les projets de texte fournissent des lignes directrices pour la mise en œuvre de la méthodologie ainsi que la transférabilité de cette approche à d’autres villes ou régions.

Les recommandations dans le rapport incluent l’élaboration à l’échelle locale et/ou régionale, des indicateurs de cohésion sociale sur la base des principes contenus dans le Guide méthodologique par la mise en place de groupes de coordination représentatifs des différents acteurs concernés, en privilégiant la participation des citoyens à chaque étape et l’organisation des échanges entre les villes et régions ayant mis en place des indicateurs de cohésion sociale selon la même méthodologie.

En 2005, la Direction générale de la cohésion sociale du Conseil de l’Europe a élaboré un Guide méthodologique pour l’élaboration concertée des indicateurs de la cohésion sociale. Cet ouvrage propose une méthode et des outils pour rendre opérationnelle cette coresponsabilité, que ce soit au niveau local, régional, national ou européen. Il offre la possibilité à des acteurs d’un même territoire de réfléchir ensemble, de choisir leurs objectifs et de les traduire en indicateurs pour les préciser, les quantifier, en suivre la réalisation et en évaluer l’impact.

En 2006, la Commission de la cohésion sociale a décidé de mener, en partenariat avec la Ville de Mulhouse, une expérience d’élaboration concertée d’indicateurs de la cohésion sociale afin d’examiner comment les pouvoirs locaux et régionaux peuvent concrètement mettre en œuvre les principes contenus dans le guide. Le présent rapport1 rend compte de cette expérience et en tire un certain nombre d’enseignements sous la forme de recommandations à l’attention des villes et régions des Etats membres.

I- Le guide sur les indicateurs de la cohésion sociale : son contenu dans les grandes lignes, ses enjeux
a. L'élaboration concertée d'indicateurs comme élément clé de la cohésion sociale
Selon la stratégie de cohésion sociale du Conseil de l'Europe, « la cohésion sociale est la capacité de la société a assurer le bien-être de tous ses membres, à minimiser les disparités et à éviter les polarisation. La construction de cette capacité doit être considérée comme étant la responsabilité de toutes les parties de la société : Alors qu’au cours du XXème siècle on a souvent considéré que le bien être de tous relevait de la seule responsabilité de l’Etat (« Etat Providence »), les problèmes économiques des dernières décennies et la globalisation ont démontré que ce modèle n’est plus suffisant et que le bien-être de tous doit être un objectif partagé par l’ensemble des acteurs de la société (« welfare society »). Ainsi une société cohésive est une communauté solidaire composée d’individus libres poursuivant des buts communs par des voies démocratiques, le bien être de tous constituant une base essentielle de ces objectifs communs2.

Le guide méthodologique pour l'élaboration concertée des indicateurs de cohésion sociale vise à donner corps à cette stratégie et la rendre opérationnelle. La construction d'objectifs et d’une responsabilité partagée entre les différents parties prenantes de la société pour le bien être de tous suppose en effet de pouvoir les définir et les mesurer. Elle passe donc par un dialogue entre acteurs pour établir des paramètres communs, traduits en indicateurs permettant de préciser de responsabilités de chacun et se donner les moyens de les suivre les évaluer conjointement. En ce sens le guide méthodologique est un instrument de rapprochement entre les acteurs d'un territoire, leur permettant de partager une même vision de ce qu'ils souhaitent et de rendre cette vision opérationnelle et mesurable à tout moment.

b. Le bien être comme point de départ de la réflexion sur les objectifs

En définissant la cohésion sociale comme la capacité de la société a assurer le bien-être de tous, la stratégie de cohésion sociale du conseil de l'Europe et le guide méthodologique mettent en avant le bien-être comme objectif fondamental et point de départ de la réflexion. Ils proposent donc d'initier le processus de concertation par une réflexion commune sur ce concept, en en considérant quatre dimensions de ce que l’on peut appeler « bien être citoyen » (l'équité et la non-discrimination, la dignité et la reconnaissance de la diversité, l'autonomie et le développement personnel, familial et professionnel, et enfin l'engagement et la participation citoyenne) et en mettant en avant l'idée selon laquelle la responsabilité de sa définition revient clairement aux personnes concernées, c'est-à-dire les citoyens eux-mêmes.
La réflexion conjointe sur ce que recouvre le bien-être concerne donc l'ensemble de la population. Elle doit nécessairement être conduite sur un territoire donné servant de référence. En ce sens le territoire local ou municipal est particulièrement intéressant. C'est en effet au niveau local que l'on peut plus facilement toucher l'ensemble des citoyens et réaliser un véritable travail de concertation ascendant.

c. Différents niveaux d’application

Face à la complexité de la problématique de la cohésion sociale, le guide méthodologique propose quatre niveaux d’application, allant du plus global au plus spécifique :

- Un premier niveau s’attache à l’évaluation des tendances de la cohésion sociale, en mettant l’accent sur le choix des indicateurs de bien être citoyen et leur évaluation

- Un deuxième niveau vise à apprécier la cohésion sociale du point de vue de la capacité des acteurs à assurer le bien être de tous: il est donc orienté sur l’évaluation des actions publiques et privées et leur impact et contribution à la cohésion sociale sur la base des indicateurs définis dans le premier niveau.

- Le troisième et le quatrième niveaux sont des niveaux spécialisés (le troisième sur les différentes domaines de vie et le quatrième sur les divers groupes vulnérables), mis en application suivant les besoins spécifiques de chaque territoire.

Ces quatre niveaux d’application du guide constituent donc une trame générale pour l’analyse de la cohésion sociale et son amélioration :

- Le premier niveau est la base du processus et son point de départ: il permet de préciser ce que l’on entend par bien être et comment le mesurer.

- Le deuxième niveau porte l’attention au cœur de la cohésion sociale : existe-t-il une réelle capacité collective d’assurer le bien être de tous ? Comment les acteurs agissent et comment leur action contribue ou ne contribue pas à cette capacité ? Il porte donc la réflexion sur l’action, pouvant déboucher sur des décisions communes pour mieux agir ensemble (plan d’action, définitions de responsabilités, chartes éthiques, etc.).

- Les troisième et quatrième niveaux sont des compléments sur des thèmes ou des groupes cibles qui demandent une attention particulière.

Les deux premiers niveaux constituent donc un ensemble cohérent en soi, tandis que les deux suivants sont des niveaux complémentaires qui peuvent se rajouter aux deux premiers en fonction des besoins. Cet ensemble des deux premiers niveaux a fait l’objet d’une expérimentation à Mulhouse dont les conclusions et enseignements sont présentés dans le présent rapport.

II. Méthodologie et résultats des réunions avec les partenaires locaux à Mulhouse

L'application du guide méthodologique pour l'élaboration concertée des indicateurs de cohésion sociale à Mulhouse a eu un rôle pionnier, apportant un éclairage fondamental sur la façon de conduire ce processus au niveau local. Cela a permis non seulement de tester l'approche et de vérifier sa faisabilité, mais également de préciser et d'affiner les méthodes de concertation et de construction d'indicateurs partagés. Alors que l'élaboration du guide a été réalisée essentiellement à partir de tests partiels pour préciser les indicateurs généraux ou propres à quelques domaines spécifiques, pour la première fois à Mulhouse il a été possible de mettre en œuvre la démarche dans sa globalité.

2.1- La méthode d’application à Mulhouse et sa plus-value

Les enseignements que l'on tire sont nombreux, non seulement sur la faisabilité et la validité de l'approche proposée par le guide, mais également sur un ensemble de questions méthodologiques concernant l'élaboration des indicateurs eux-mêmes. En voici les éléments essentiels :

1. Tout d'abord la mise en place d’un groupe de coordination constitué d'une quinzaine de personnes représentatives des principaux secteurs présents sur le territoire (outre la municipalité elle-même, les services sociaux, associations, etc.) et chargé de concevoir les modalités de mise en œuvre et d’assurer le pilotage de l’ensemble du processus, a été une première condition essentielle pour assurer une appropriation locale de la démarche et une participation active des différents acteurs concernés.

2. Le fait d'avoir, en accord avec la première étape du guide, axé dès le départ la réflexion sur la définition de l'objectif de bien-être citoyen, a permis d’échapper à deux inconvénients, à savoir :

a. d’une part affirmer une approche par la demande plutôt que par l'offre. En effet, dans beaucoup de processus de concertation conduits au niveau local, la préoccupation première est de vérifier la pertinence et la qualité des services existants (services sociaux et culturels, transports, aménagement des espaces publics, etc.), ce qui conduit à axer la réflexion sur la satisfaction de la population par rapport à ces services eux-mêmes. Sans remettre en cause l'intérêt de ces approches pour l'amélioration de la qualité, notamment des services publics, le fait de partir de l'offre de services élimine de facto une réflexion de fond sur les attentes de la population elle-même ou du moins oriente, a priori, cette réflexion dans un sens donné, avec le risque de passer à côté de certains éléments clés de la satisfaction des habitants. En partant de l'objectif de bien-être, on évite cet inconvénient, car on place les attentes et la demande des citoyens au coeur du dialogue et ce d’une manière inclusive (bien être de tous sans exclusion ni discrimination).

b. d’autre part porter la réflexion sur ce que pourrait être une situation idéale, en se détachant de l'existant. Ceci était une condition pour établir des critères et des indicateurs de bien-être, indépendamment de la situation effectivement vérifiable sur le terrain. C’est aussi une condition pour éviter là aussi de focaliser la concertation sur les problèmes sans avoir fait l’exercice préliminaire de réfléchir sur les objectifs. La réflexion sur le bien être si elle est bien posée permet précisément de faire cette distinction.

3. La référence au concept de bien-être citoyen avec les quatre dimensions proposées dans le guide facilite ce débat. Ces quatre dimensions répondaient d’ailleurs bien au concept du bien-être défendu par les participants eux-mêmes, à savoir un concept qui ne se limite pas aux aspects matériels et à une vision passive du bien-être (confort de vie, accès aux services, etc.), mais qui prennent en compte les dimensions immatérielles, de vie sociale et collective, et de relations humaines. Les quatre dimensions proposées dans le guide ont pu ainsi être aisément utilisées comme éléments de référence permettant à chacun d'exprimer les critères de bien-être selon sa propre perception et ses attentes.

4. Le fait d'avoir conduit la réflexion de manière collective, par petits groupes « monochromes » de huit à dix personnes ayant les mêmes caractéristiques socioprofessionnelles (par exemple groupes de jeunes, ou de personnes âgées, de femmes, d'immigrés, de personnes handicapées, etc.), puis en les croisant dans des groupes « arc-en-ciel » constitués d’un représentant de chacun des groupes « monochromes » avec l’objectif de faire une synthèse inclusive des différents critères exprimés, a permis l'expression d'une vision partagée du bien-être tout en facilitant la réflexion de chacun sur ses propres attentes. Ainsi, avec un travail en groupes sur une durée totale de trois heures, il était possible de disposer d’un ensemble de critères du bien-être discutés et validés de manière collective, traduisant une vision consensuelle de l'objectif de bien-être dans la ville. Ce travail réalisé au cours de deux séances le même jour a été ensuite complété par une série de réunions additionnelles avec des groupes sociaux qui n'avaient pas pu participer aux premières rencontres.

5. Un autre élément clé de réussite du processus a été de laisser la liberté à chacun d'exprimer sa vision du bien-être indépendamment de la nécessité d'en sortir des indicateurs. Ainsi dans une première phase, la construction d'indicateurs a été laissée de côté et il s'est agi surtout d'exprimer les critères d'appréciation du bien-être. Le fait d'avoir laisser cette liberté d'expression des critères a permis d'obtenir un résultat très riche et intéressant, permettant la mise en avant d'éléments qualitatifs et subjectifs qu’il aurait été difficile d'obtenir si des règles d'objectivité et de quantification avait été imposées au départ.

6. La difficulté a ensuite été de transformer cet ensemble considérable de critères en un nombre limité d'indicateurs opérationnels et utilisables pour suivre et évaluer les actions réalisées sur le territoire et leur contribution à la cohésion sociale. Là aussi l'expérience de Mulhouse a été riche d'enseignements, par le fait que cet exercice a conduit à sortir d'une vision étroite des indicateurs statistiques quantitatifs, souvent difficilement lisibles et compréhensibles par l'ensemble population, pour établir des indicateurs qualitatifs compréhensibles par tous tout en étant objectifs grâce à l'introduction de quelques règles de mesures. Il s’agissait aussi de donner aux indicateurs un sens d’appréciation et pas seulement de mesure : préciser dans quelles conditions on considère qu’une situation est bonne ou mauvaise. Sans entrer, dans le cadre de présent rapport, dans le détail de la méthode qui a été adoptée, on peut ici en restituer les grandes lignes autour des quatre étapes suivantes :

a. synthèse des critères autour de quelques grandes catégories : cinq catégories ont pu être ainsi définies (espace des cadres de vie, moyen de vie, parcours de vie, éthique dans les relations humaines, et éthique dans les actions) ;

b. identification pour chacune de ces catégories de cinq à sept indicateurs constituant chacun la synthèse de plusieurs critères exprimés sur un même thème;

c. élaboration de chaque indicateur sur une échelle de zéro à cinq, correspondant à une appréciation consensuelle de la réalité observée (zéro de la situation nulle; 1= situation franchement mauvaise; 2= situation plutôt mauvaise; 3= situation moyenne; 4 = situation bonne; 5= situation idéale (objectif atteint)); à ce stade chacun des niveaux de cette échelle est défini de manière compréhensible par tous et vérifiable par l'observation directe.

d. objectivisation de chaque niveau de l'échelle par certains éléments quantifiés mesurables (un appui de l’INSEE est apporté sur ce point).

7. Une fois ces indicateurs construits, il s’agissait de les valider avec les citoyens qui ont participé à l’exercice d’identification des critères afin qu’ils puissent vérifier la cohérence des regroupements de critères qui ont été opérés pour chaque indicateur ainsi que de l’échelle proposée pour chacun d’eux. Cette validation a permis d’affiner les indicateurs et leur donner plus de pertinence.

8. Immédiatement après a pu commencer la phase de mesure proprement dite, de la situation présente et passée (et donc les tendances) pour avoir ainsi une appréciation du bien-être sur le territoire. À ce stade une difficulté majeure sont les données disponibles. Les données statistiques sont en effet très limitées au niveau local, d’autant plus qu’elles sont surtout orientées sur les questions économiques et peu sur les questions sociales. Une première manière de dépasser cette difficulté est de réaliser des enquêtes. Une deuxième plus souple, beaucoup moins coûteuse et intéressante en termes de dynamique sociale, bien que moins objective, consiste à impliquer la population elle-même dans la mesure des indicateurs, en les invitant à donner leur propre appréciation au sein de « focus group », organisé suivant le principe des « groupes arc-en-ciel » il était question ci-avant. Ainsi plusieurs séances de « focus group » ont été réalisée entre novembre 2006 et janvier 2007, complétées par les données statistiques disponibles.

2.2- Perspectives ouvertes : ver un Territoire Responsable pour la Cohésion Sociale

1. Ayant été réalisé sur la base de critères définis en concertation avec la population, le travail d’élaboration des indicateurs de bien-être a mis en évidence la diversité de ses aspects, allant bien au-delà du bien être économique pour introduire des dimensions propres aux relations sociales et humaines. On trouve ainsi des indicateurs concernant le cadre de vie (taille humaine, infrastructures et services, propreté et environnement, mixité sociale, espaces de rencontre..), l’accès aux moyens de vie (santé, éducation, logement, emploi, revenu, information, culture, citoyenneté, etc.), les parcours de vie (autonomie, maîtrise du temps, projet de vie, éthique personnelle, vie sociale et familiale, droit à l’intimité, etc.), l’éthique dans les relations humaines (reconnaissance, convivialité, partage/solidarité, responsabilité, etc.) et l’éthique dans l’action (accueil, partenariat).

2. L’exercice réalisé a permis d’ouvrir des perspectives particulièrement intéressantes en termes de cohésion sociale. Outre la concertation elle-même qui a favorisé le rapprochement entre les acteurs et l'émergence d'une vision commune sur le bien-être (base essentielle de la construction de société capable d'assurer le bien-être de tous), le caractère ouvert de l'approche a permis de faire émerger des critères de bien-être dont il est rarement question dans les approches conventionnelles et qui pourtant peuvent être satisfaits sans grands investissements mais par certains changements dans la manière d'agir sur le territoire, tels que : la reconnaissance des personnes, de leur rôle, la convivialité, les espaces de rencontres, la place laissé à l’initiative et à la créativité, etc.. Ainsi cet exercice met en évidence comment certaines règles éthiques dans les relations humaines et la façon dont agissent les institutions et les acteurs peuvent considérablement améliorer le bien-être et la cohésion sociale.

3. Ainsi les critères et indicateurs construits invitent à une réflexion sur le rôle joué par les différents acteurs sur le territoire et les responsabilités qu’ils sont prêts à assumer par rapport aux objectifs de bien être et de cohésion sociale exprimés par les habitants. Ils mettent également en évidence l’importance d’une action concertée et de la recherche de complémentarités entre différentes approches pour assurer le bien être de tous et éviter qu’une partie des citoyens restent exclus.

4. La phase suivante consiste donc à analyser comment les acteurs du territoire peuvent répondre ensemble à cette attente. La ville de Mulhouse se dirige donc naturellement vers l’idée d’un Territoire Responsable pour la Cohésion Sociale, c'est-à-dire un territoire où l’ensemble des acteurs, y compris les citoyens, se concertent et s’engagent pour pouvoir répondre aux attentes en termes de bien être et de cohésion sociale.

5. Disposant, grâce aux indicateurs, d’une grille de lecture de la contribution des différents acteurs au bien être, il est possible de mesurer cette contribution. Néanmoins l’idée n’est pas d’analyser toutes les actions ce qui pourrait avoir un effet stigmatisant mais de le faire de manière volontaire et surtout de mettre en évidence celles qui contribuent le plus à la cohésion sociale et dégager des synergies possibles de façon à donner une perspective et encourager les autres acteurs, y compris les citoyens, à s’engager pour la cohésion sociale sur le territoire.

6. Le Territoire Responsable pour la Cohésion Sociale pourra donc se mettre en place par une première phase d’identification et de valorisation des initiatives les plus avancées pour la cohésion sociale, suivi d’une phase de mise en perspective et définition d’objectifs pour aboutir à la mise en œuvre proprement dite du concept.

7. Ceci conduit à penser que le plan d'action qui sortira de cet exercice ne sera pas simplement une liste d'actions à mettre en place, impliquant souvent des investissements difficiles à réaliser et qu'il faut reporter à plus tard, mais qu'il inclura également quelques références sur la façon d'agir les uns les autres territoires. C'est pourquoi il est déjà question de ne pas parler simplement d'un plan d'action mais également une charte éthique (charte éthique du Territoire Responsable pour la Cohésion Sociale) concertée et accordée entre les acteurs du territoire.

III. Le guide et les collectivités territoriales : un outil transférable ? Pourquoi ? Intérêt de cette démarche pour les villes et régions

3.1- Transférabilité

L'application du guide méthodologique pour l'élaboration concertée des indicateurs de cohésion social à Mulhouse ouvre donc des perspectives particulièrement intéressantes en termes de cohésion sociale et de démocratie pour les collectivités territoriales. Elle démontre comment ce guide peut être un instrument de facilitation de la concertation, de participation citoyenne, et d'élaboration de références partagées avec la population pour la conduite des actions publiques ou privées sur le territoire concerné. Elle permet également d’affirmer le concept de Territoire Responsable pour la Cohésion Sociale dans lequel les acteurs s’engagent ensemble dans une voie de cohésion sociale.

L'expérience réalisée montre qu'un processus de ce type peut être mis en oeuvre sans grands investissements. La phase de construction des indicateurs et de leur mesure s'appuie essentiellement sur la mobilisation des acteurs et peut être réalisée dans son intégralité avec un nombre limité de réunions représentant un temps relativement bref pour chacun. La phase de mise en place du concept de Territoire Responsable pour la Cohésion Sociale, actuellement en cours à Mulhouse peut représenter des investissements plus importants, mais avec des retombées particulièrement pertinentes en termes de bien être, cohésion sociale et développement durable, puisqu’elles s’appuient sur les attentes exprimées par les habitants.

En ce sens il s'agit d'une approche facilement transférable dans tout territoire. S'appuyant sur des principes méthodologiques pour l'élaboration d'indicateurs et non sur des indicateurs prédéfinis, cette approche est applicable dans tout contexte quel qu'il soit.

3.2- Formalisation de la méthode

Reste que la mise en place de cette approche suppose une certaine maîtrise des méthodes de concertation, de synthèse, d'élaboration des indicateurs et de mesure. Le guide lui-même n'offre pas tous les éléments nécessaires à cette maîtrise. Néanmoins l'expérience de Mulhouse a permis de réaliser un débroussaillage méthodologique complémentaire du guide et donc de disposer d'un cadre de travail aujourd'hui assez bien établi. Celui-ci pourra faire l'objet d'une petite publication complémentaire du guide permettant de reprendre facilement l'approche dans d'autres territoires.

Ci-suivent quelques enseignements que l’on peut tirer de l’expérience de Mulhouse sur le travail réalisé jusqu’à présent pour en améliorer l’efficacité, notamment concernant les trois moments où un travail a été réalisé en concertation avec la population : définition des critères de bien être, validation des indicateurs, une fois élaboré par le groupe de coordination et mesure des indicateurs..

a. Collecte des critères de bien être

Dans les exercices réalisés à Mulhouse l’accent a été mis sur les critères de bien être citoyen dans leurs diverses dimensions. Pour préciser ces critères il peut être intéressant dans certains cas de préciser ces critères en posant également la question du mal être.

b. Validation des indicateurs

L’élaboration puis la validation des indicateurs sont des moments clé de l’exercice. A la lumière de l’expérience de Mulhouse, on peut l’opérer en plusieurs étapes : 1) élaboration d’une synthèse des critères par un groupe de 2 à 3 personnes, 2) élaboration d’une grille d’indicateurs dans le groupe de coordination, 3) élaboration d’une première hypothèse d’indicateurs et d’échelles par indicateur par un petit groupe de 1 ou 3 personnes, 4) affinement et validation des indicateurs par le groupe de coordination, 5) affinement et validation par les groupes d’habitants.

c. Mesures et appréciations

Quelques règles méthodologiques ressortent là aussi de l’expérience de Mulhouse :

- faire en premier le tour de ce qui existe en termes de données chiffrées ou résultats d’enquêtes et les introduire dans les indicateurs facilite grandement le travail même si l’information reste très partielle

- les « focus group » doivent être bien préparés à l’exercice avant de réaliser l’appréciation proprement dite des indicateurs. L’idéal est d’organiser deux réunions : une réunion de préparation donnant des explications sur la méthode et invitant chacun des participants à réfléchir sur l’appréciation en s’appuyant, outre sa connaissance personnelle, sur des consultations qu’il/elle peut réaliser dans son entourage (quartier, association, etc.) et une réunion de mise en commun des éléments recueillis. On peut aussi s’appuyer sur des personnes ressources qui ont déjà travaillé sur ces questions (chercheurs, journalistes, etc.).

IV. Principales recommandations à l'attention des villes et régions d'Europe (comment élaborer de manière concertée des indicateurs de la cohésion sociale au niveau territorial)

On tire d’ores et déjà de l'application au niveau local du guide méthodologique pour l'élaboration concertée des indicateurs de cohésion sociale quelques recommandations fondamentales pour l'affirmation de la démocratie locale et de la cohésion sociale dans les territoires de l'Europe :

1. En premier lieu la concertation de la population sur le bien-être en laissant la place à la pleine expression des aspirations de chacun permet de sortir d'un processus revendications-réponses qui rend souvent difficile un débat démocratique sur le fond. C'est donc une base essentielle pour bien positionner de dialogue entre pouvoirs publics et citoyens dans un cadre démocratique ouvert.

2. La construction d'un système d'indicateurs compréhensibles, transparents et opérationnels joue un rôle essentiel pour permettre la transformation des aspirations des habitants en éléments objectifs, mesurables et vérifiables par tous et donc pour faire le lien entre les aspirations citoyennes et leur prise en compte dans les actions publiques et privées. Les indicateurs sont également un moyen d'expression partagée de l'appréciation que l'on donne à telle ou telle situation. Ils sont dans ce sens l’expression d’un ressenti collectif en lui donnant une forme explicite et, dans la mesure du possible, reconnue par tous (consensuelle) et qui dépende de chaque contexte spécifique. Par exemple une situation jugée insatisfaisante sur un indicateur dans un contexte social, culturel et politique donné pourrait être considéré comme bonne dans un contexte différent et vice-versa sur un autre indicateur.

3. La propre mesure des indicateurs est également un vecteur clé de l'expression démocratique. Comme alternative aux mesures des indicateurs réalisées uniquement par les services statistiques spécialisés, qui, certes, assurent une meilleure fiabilité et objectivité des données mais en rendent parfois la lecture et la compréhension difficile, quand elles ne sont pas carrément inconnues, on peut proposer une mesure des indicateurs s'appuyant sur l'appréciation par les habitants eux-mêmes en développant des complémentarités entre les mesures statistiques conventionnelles et l'appréciation directe. L'expérience réalisée à Mulhouse semble démontrer qu'il est possible de mettre en place des techniques relativement fiables dans ce sens qui de surcroît présentent l'avantage d'être beaucoup moins onéreuses que les enquêtes statistiques spécifiques. Un tel exercice permet la construction progressive d’une connaissance collective de la situation du territoire, partagée entre les acteurs.

4. L'élaboration des indicateurs, leur validation et leur mesure en impliquant la population sont les bases d'un processus de dialogue transparent et générateur de confiance qui permet de mettre à plat les situations existantes, ce qu'il est possible de faire et de ne pas faire et de préciser les responsabilités de chacun. Il est en dans ces conditions beaucoup plus aisé de faire émerger les engagements mutuels et volontaires pour le bien être de tous et la cohésion sociale autour de l’intérêt général et de sortir de situations de crispation où chacun essaie avant tout de défendre ses propres intérêts.

5. Dans ce sens la mise en avant d’un projet de Territoire Responsable pour la Cohésion Sociale dans la suite de l’application des indicateurs comme cela se fait à Mulhouse peut être particulièrement intéressant car il donne une perspective et encourage les acteurs à rechercher des solutions partagées pour la cohésion sociale et à s’engager dans ce sens.

6. La mise en place d'un groupe de coordination constitué de personnes représentant les principaux secteurs de la société locale et chargé de concevoir et suivre l'ensemble du processus est un élément clé de réussite et en renforce le caractère démocratique et ouvert.

7. Enfin on ne peut, dans cette recherche de nouvelles formes de démocratie et de la cohésion sociale, qu'encourager les échanges entre municipalités régions et territoires qui s'engagent dans cette voie. Il n'existe pas de systèmes d'indicateurs universels qui peuvent s'appliquer dans toute situation ni de méthode unique pour leur élaboration et leur mesure et l’engagement des acteurs dans un territoire responsable. Chaque contexte appelle à une réflexion spécifique qui conduira les habitants à faire leur propre choix. En revanche les principes de l’approche sont les mêmes et les solutions qui ont été trouvées et développées dans des situations spécifiques peuvent en inspirer d'autres. On cherchera donc à faciliter ces échanges et permettre un processus de capitalisation des méthodes des outils au niveau européen.

8. Dans cet esprit il est fortement recommandé de s’appuyer sur les acquis de l’expérience pilote de Mulhouse pour en promouvoir et inspirer d’autres ainsi que d’assurer une capitalisation et diffusion au niveau européen des différentes initiatives qui s’inscrivent dans cette démarche, ce qui pourrait se faire sous l’égide du Conseil de l’Europe.

1 Le Secrétariat du Congrès souhaite remercier l’expert, M. Samuel THIRION, pour la préparation du présent rapport.
2 Stratégie de cohésion sociale révisée, approuvée par el Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 31 mars 2004, paragraphes 1 et 17.