Strasbourg, le 10 novembre 2006                                                           CCJE (2006) 1

CONSEIL CONSULTATIF DE JUGES EUROPÉENS

(CCJE)

AVIS N° 9 (2006)

DU CONSEIL CONSULTATIF DE JUGES EUROPÉENS (CCJE)

À L’ATTENTION DU COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L'EUROPE

SUR

LE RÔLE DES JUGES NATIONAUX

DANS L’APPLICATION EFFECTIVE DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

Le présent Avis a été adopté par le CCJE

lors de sa 7ème réunion (Strasbourg, 8-10 novembre 2006).


INTRODUCTION

1.             Le Comité des Ministres a demandé au Comité Consultatif de Juges européens (CCJE) d’examiner, en particulier, certaines questions (contenues dans le Programme cadre d’action global pour les juges en Europe[1]), telles que l’application par les juges nationaux de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments juridiques internationaux pertinents, le dialogue entre les organes juridictionnels nationaux et européens, ainsi que la disponibilité de l’information sur l’ensemble des textes internationaux pertinents.

2.             Le CCJE note que les systèmes juridiques nationaux doivent de plus en plus souvent traiter des questions juridiques de nature internationale, ce qui s’explique à la fois par la mondialisation et par la tendance croissante du droit international et européen[2] à s’intéresser davantage aux relations entre les personnes qu’aux relations entre les Etats. Compte tenu de cette évolution, il est nécessaire de modifier la formation, la pratique et même la culture judiciaires, pour que les juges nationaux puissent rendre la justice en répondant aux besoins et aux aspirations du monde moderne et en respectant les principes juridiques déjà reconnus par les Etats démocratiques.

3.             Cette évolution devrait avoir, en premier lieu, des répercussions importantes sur la formation des juges, sur la nature des relations entre les institutions judiciaires internationales et sur la hiérarchie des normes que le juge doit respecter dans le contexte de la multiplication des sources du droit ; elle exige ensuite des autorités étatiques la mise en œuvre d’importantes ressources supplémentaires afin d’assurer la mise en œuvre des activités susmentionnées.

4.             C’est pourquoi le CCJE a estimé utile de faire le point sur les moyens nécessaires au juge pour agir efficacement dans un contexte international et donc de s’intéresser à l’application du droit international et européen par le juge national. Le but de cet Avis est d’aboutir à une juste application du droit international et européen, et notamment concernant les droits de l’Homme. La formation des juges, la disponibilité de l’information et de la documentation pertinentes ainsi que la traduction et  l’interprétation sont autant de moyens permettant d’atteindre ce but.

5.             A cet égard, le CCJE souligne que le juge national est le garant du respect et de la bonne mise en œuvre des traités internationaux et européens auxquels son pays est partie, notamment de la Convention européenne des droits de l'homme.

6.             Le présent avis complète l’Avis n° 4 (2003) du CCJE sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen ;les considérations figurant dans cet Avis sont en réalité complètement applicables aux questions traitées dans le présent Avis.

a.         Fournir aux juges nationaux l’information et la documentation sur l’ensemble des instruments juridiques internationaux et européens pertinents[3]

a.         Une bonne connaissance par les juges du droit international et européen

7.             Dans un contexte d’internationalisation croissante des sociétés, la législation et la jurisprudence internationales et européennes influent de plus en plus sur la législation et la pratique judiciaire nationales ; les juges doivent pouvoir maîtriser ces domaines pour pouvoir exercer leurs fonctions judiciaires conformément au principe de la prééminence du droit partagé par les pays démocratiques. C’est pourquoi les juges doivent connaître l’évolution internationale de la pratique juridique et à y participer. Ils doivent connaître et être capables d’appliquer le droit international et européen, en particulier dans le domaine des droits de l'homme.

b.         Donner aux juges les moyens d’accéder à l’information sur le droit international et européen

8.             Les normes internationales et européennes, ainsi que les pratiques judiciaires, se développent rapidement sur le plan quantitatif et se complexifient. Si un Etat veut que les juges nationaux soient à l’aise dans le contexte européen et international, il devrait – pour être en accord avec ses propres engagements internationaux – prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les juges puissent accéder à une parfaite compréhension des textes de référence européens et internationaux pertinents, en particulier de ceux qui concernent la protection des droits de l'homme, ce qui leur permettra de mieux s’acquitter de leurs tâches.

c.         Intégrer le droit international et européen dans les programmes universitaires et de formation des juges

9.             Dans de nombreux pays, des cours sur le droit international, le droit européen et les instruments relatifs aux droits de l'homme font partie des études juridiques universitaires. Toutefois, il n’y a que certains Etats qui exigent des candidats à un poste de magistrat de connaître ces sujets de manière approfondie.

10.          Le CCJE estime qu’il est important que les questions juridiques internationales et européennes fassent partie du cursus universitaire et soient également incluses dans les examens d’accès aux professions judiciaires, lorsque de tels examens existent.

11.          Des programmes de formation initiale et continue appropriés sur des thèmes internationaux devraient être organisés pour les juges, dans des domaines d’activité généraux et spécialisés. Si des différences existent parmi les Etats européens concernant les systèmes de formation initiale et continue des juges, la formation en droit international et européen revêt la même importance pour toutes les traditions judiciaires en Europe.

12.          Dans certains pays, des programmes spéciaux de formation au droit international et européen sont organisés spécifiquement pour les juges, ou pour les juges et les procureurs, par les institutions judiciaires de formation (ou par une commission de service judiciaire) ou par le ministère de la Justice, ou conjointement par ces organismes[4]. Dans d’autres pays, il n’existe pas de formation spéciale au droit international et européen ; dans ces pays, les juges ont généralement la possibilité de participer à des stages généraux organisés par le corps judiciaire lui-même ou par d’autres instances (universités, barreaux ou centres de formation judiciaire étrangers).

13.          A cet égard, le CCJE souligne l’acquis du Conseil de l'Europe en matière de formation des juges à l’application des traités internationaux[5], et rappelle la nécessité : a) de développer l’étude du droit international, des traités, des institutions européennes et des autres organisations internationales dans le cadre du cursus universitaire ; b) le cas échéant, d’intégrer dans les examens et les concours d’accès à la magistrature des épreuves portant sur l’application des normes internationales ; c) de développer la dimension internationale dans la formation initiale et continue des magistrats ; et d) d’ organiser dans le cadre du Conseil de l’Europe, le cas échéant en collaboration avec les institutions européennes et d’autres organisations internationales, des séminaires de formation pour les juges et les procureurs dans le but de promouvoir une meilleure connaissance des instruments internationaux.

d.         Veiller à la qualité de la formation judiciaire en droit international et européen

14.          Concernant la formation en droit international et européen, le CCJE considère que les membres du corps judiciaire devraient être largement représentés parmi les formateurs. Cette formation judiciaire devrait traiter des aspects présentant un intérêt particulier pour la pratique judiciaire, et s’accompagner de la mise à disposition de matériels didactiques pertinents, qui comprendraient, dans la mesure du possible, des matériels d’enseignement à distance sur Internet. Le CCJE encourage la coopération entre les organismes de formation nationaux dans ce domaine et appelle à garantir la transparence de l’information sur ces programmes de formation et sur les modalités de participation.

e.         Une information sur le droit international et européen permanente et accessible à chaque juge

15.          Le CCJE note qu’une information complète et à jour sur la législation et la pratique internationales et européennes n’est pas mise à la disposition des juges sur une base régulière. Même dans les pays où les juges reçoivent une information juridique par voie électronique ou sur papier, le Journal officiel ne comporte que rarement des informations sur le droit international et européen. Certains Etats, cependant, produisent des circulaires juridiques spéciales qui incluent ces informations. D’autres institutions, telles que des facultés de droit, des centres de formation ou des administrations de tribunaux, fournissent quelquefois des informations sur la jurisprudence récente des juridictions internationales et européennes. Les revues juridiques nationales peuvent également contenir ces informations.

16.          Un Etat qui se contente de garantir un accès à internet ne peut être considéré comme respectant son obligation de fournir des informations suffisantes (ou des moyens suffisants d’obtenir ces informations) sur les questions relatives au droit international et européen.

17.          Le CCJE recommande que tous les juges aient accès aux versions papier et électroniques des instruments juridiques, afin qu’ils puissent mener des recherches approfondies dans les domaines du droit international et européen. Ces possibilités devraient être offertes aux juges grâce à une structure de soutien spécialisée (si nécessaire sous la forme d’un service centralisé), qui pourrait leur permettre d’être informés au-delà de ce qui leur est strictement nécessaire pour accomplir leurs tâches.

18.          Rares sont les pays où le ministère de la Justice ou des Affaires étrangères fournit aux juges des traductions dans leur langue nationale des textes pertinents, y compris des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant leur propre Etat. Le CCJE estime que les Etats devraient veiller à ce que cette situation change rapidement ; ils devraient notamment favoriser la création de services de traduction efficaces, chargés de traiter les textes juridiques susceptibles d’être utiles à la pratique judiciaire (voir également paragraphe 23 du présent Avis).

19.          Afin de faciliter la tâche aux juges, l’information résumée, indexée et annotée devrait être facilement lisible dans la mesure où le juge est seul en mesure d’évaluer la pertinence de l’information, si nécessaire avec l’aide des services de documentation des tribunaux et d’assistants[6]. La coopération entre les services de documentation des tribunaux centraux et locaux, et/ou les bibliothèques et les centres de documentation spécialisés en droit qui sont extérieurs au système judiciaire, devrait également être encouragée.

f.          Donner aux juges les moyens d’accéder aux informations en langues étrangères

20.          Vu les considérations précédentes, le CCJE note que les juges nationaux ont besoin de connaître les langues étrangères pour se tenir informés des développements en droit international et européen.

21.          Actuellement, seuls quelques Etats permettent aux juges de bénéficier gratuitement de cours de langues étrangères, alors que souvent de tels cours sont partiellement subventionnés par l’Etat ; quelquefois, certains cours sont offerts pour motiver les juges qui travaillent en étroite collaboration avec les institutions internationales et européennes.

22.          Le CCJE encourage les Etats à adopter des mesures (consistant par exemple à accorder des aides) destinées à garantir que l’enseignement des langues étrangères fasse partie de la formation générale ou spécialisée des juges.

23.          Les Etats devraient veiller à ce que les tribunaux disposent de services juridiques et internationaux chargés de traduire les documents dont les juges pourraient avoir besoin pour se tenir informés des évolutions en cours dans les branches du droit international et européen qui les intéressent. Le CCJE est conscient de l’importance des coûts nécessaires au fonctionnement de ces services et recommande qu’ils soient financés par un budget apparaissant séparément dans le budget de l’Etat, afin d’éviter une réduction des fonds alloués au fonctionnement des tribunaux.

24.          Ces traductions et ces interprétations doivent être assurées par des professionnels qualifiés, dont les juges doivent pouvoir vérifier les compétences car ces professionnels exercent une mission judiciaire.

B.         dialogue entre les organes juridictionnels nationaux et européens[7]

a.         Un dialogue nécessaire, qu’il soit formel ou informel

25.          Les tribunaux nationaux sont responsables de la mise en œuvre du droit européen. En effet, ils sont souvent tenus de l’appliquer directement. Ils doivent aussi interpréter la législation nationale conformément aux normes européennes.

26.          Pour tous les juges nationaux, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice des Communautés européennes, le cas échéant, constituent des références dans le processus d’élaboration d’un corpus de droit européen.

27.          Le dialogue entre les organes juridictionnels nationaux et européens est une nécessité mais elle est aussi déjà une réalité, et il convient de renforcer ce dialogue par des mesures appropriées.

28.          En vue d’encourager un réel dialogue entre les tribunaux nationaux et européens, il faudrait mener des actions en direction des juges nationaux qui seraient destinées à stimuler les échanges d’informations et, dans toute la mesure du possible, les contacts directs entre organes juridictionnels.

29.          Ce dialogue peut avoir lieu à divers niveaux. Au niveau formel, procédural, l’une des formes institutionnalisées de dialogue est la procédure de renvoi préjudiciel de la Cour de justice des Communautés européennes. Les juges nationaux pourraient aussi avoir la possibilité de participer au fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme. A un niveau plus informel, le dialogue peut s’engager lors de visites et/ou de stages de juges à la Cour européenne des droits de l’homme, à la Cour de justice des Communautés européennes ou dans d’autres juridictions internationales et européennes, ainsi que lors de séminaires ou de colloques, nationaux ou internationaux.

30.          Le CCJE note que ce dialogue informel est considéré comme faisant partie des programmes de formation judiciaire. Les participants au dialogue sont, actuellement et pour la plupart, des juges appartenant aux plus hautes instances judiciaires (Cours suprêmes et Cours constitutionnelles). De l’avis du CCJE, même s’il est nécessaire que ces juges aient des relations étroites avec les juridictions internationales, les organismes de formation nationaux devraient néanmoins veiller à ce que les possibilités de dialogue ne soient pas réservées aux plus hauts magistrats nationaux, dans la mesure où, souvent, ce sont les juges de première instance qui sont directement chargés d’évaluer, d’appliquer et d’interpréter les normes et la jurisprudence européennes. L’expérience de différents pays montre que les réunions de petite envergure sont les formes de dialogue informel les plus productives.

b.         Des contacts directs entre juges nationaux

31.          Le dialogue entre les tribunaux nationaux et européens ne constitue pas le seul aspect de l’interaction entre les juges au niveau européen : la relation entre juges de différents pays a également une grande importance. Les juges nationaux doivent souvent prendre en considération la manière dont les juges des autres pays ont appliqué et/ou interprété le droit international et européen, et ils sont très désireux de s’enrichir de l’expérience des autres. Ce dialogue entre juges de différents pays est également important pour renforcer le principe de confiance qui doit exister entre les différents systèmes judiciaires européens, afin de faciliter la circulation internationale des jugements nationaux et simplifier les procédures d’exequatur en vigueur dans les différents Etats.

32.          Il est particulièrement important que des contacts directs entre des juges de différents pays soient organisés, y compris par les organismes nationaux de formation judiciaire, dans le cadre de séminaires, de programmes d’échanges, de visites d’étude, etc. Dans ce domaine, on pourra trouver des partenaires utiles en s’adressant aux réseaux de coopération actifs au niveau européen.

33.          Il faut donner aux juges des renseignements pratiques sur les échanges organisés dans ce cadre et garantir l’égalité d’accès à ces échanges pour tous ceux qui souhaitent y participer.

C.            l’application par les juridictions nationales du droit international et  europÉen[8]

           

a.         Le rôle du juge et la hiérarchie des normes

34.          L’application des normes internationales et européennes dans un pays donné dépend dans une large mesure de leur statut dans l’ordre juridique national (qui comprend aussi la Constitution).

35.          La mise en œuvre de ce principe se heurte néanmoins à de nombreux obstacles. Ces obstacles ont été considérés comme le résultat de plusieurs problèmes : problèmes d’accès à l’information, problèmes de nature « psychologique » et problèmes spécifiquement juridiques[9].

36.          Les deux premiers obstacles peuvent être contournés grâce aux actions décrites ci-dessus, qui visent à faciliter l’accès à la documentation juridique européenne et à améliorer le dialogue interinstitutionnel.

37.          Concernant les obstacles de nature juridique, le CCJE note que, en général, les Etats reconnaissent la primauté des traités internationaux sur le droit national lorsqu’ils sont ratifiés et/ou, le cas échéant, incorporés dans le droit national. Dans la plupart des cas, la Constitution nationale prévoit cette primauté tout en gardant pour elle-même le rang le plus élevé. Dans quelques Etats, la primauté du droit international découle des décisions de la Cour suprême nationale. Classiquement, le rang attribué à la Convention européenne des droits de l’homme est inférieur à celui de la Constitution, mais la Convention occupe cependant une position spécifique par rapport aux lois ordinaires ; l’application concrète de ce principe comporte néanmoins un certain nombre de variantes.

38.          Le plus souvent, le droit interne et la tradition juridique permettent aux tribunaux nationaux, en cas de conflit de lois entre une disposition supranationale et une disposition du droit interne, de trancher en faveur de la convention ou du traité international. Dans d’autres pays, les tribunaux sont tenus de surseoir à statuer et de porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle. Il y a cependant des pays où les tribunaux sont obligés d’appliquer les dispositions du droit interne, même si elles sont contraires à un instrument juridique international, par exemple à la Convention européenne des droits de l’homme.

39.          Chaque Etat possède son propre système d’interprétation et d’intégration des normes internationales, qui dépend du statut qu’il leur accorde. Pour éviter l’insécurité juridique, les tribunaux devraient se conformer dans toute la mesure du possible au droit européen et international et aux principes et concepts européens lorsqu’ils interprètent et appliquent le droit national et élaborent la jurisprudence.

40.          Le pouvoir judiciaire est soumis au principe de la prééminence du droit, tout comme le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Selon le CCJE, il est important que les juges nationaux veillent au respect du droit international et européen, qui assure la promotion du principe de l’Etat de Droit, en tenant dûment compte de ce droit, quel que soit le système juridique de leur pays.

b.         Jurisprudence nationale et internationale/européenne et instruments internationaux et européens, en particulier les recommandations du Conseil de l’Europe

41.          La jurisprudence influe sur l’application des normes internationales et européennes car le pouvoir judiciaire doit interpréter le droit national à la lumière du droit supranational, tout en faisant respecter les normes constitutionnelles nationales.

42.          Concernant le rôle joué par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et éventuellement de la Cour de justice des Communautés européennes, deux tendances se dégagent : en premier lieu, et le plus souvent, les tribunaux nationaux tiennent compte des décisions de ces Cours même si elles ne sont pas contraignantes. La seconde tendance consiste à accorder à cette jurisprudence le statut d’un précédent, auquel les juridictions nationales doivent se conformer.

43.          Si les juges nationaux prennent en considération et appliquent le droit international et européen, cela ne permet cependant pas de garantir la conformité de la législation nationale aux recommandations du Conseil de l’Europe, considérées comme de la « soft law ».

44.          Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe peut faire des recommandations aux Etats membres dans des domaines où a été convenue une « politique commune ». Les recommandations ne lient pas les Etats membres, bien que le Statut du Conseil de l’Europe habilite le Conseil des Ministres à inviter les gouvernements membres « à lui faire connaître la suite donnée par eux auxdites recommandations » (voir article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe).

45.          Selon le CCJE, il est souhaitable que, au cours de la préparation de nouvelles lois, le législateur se réfère aux recommandations du Conseil de l’Europe. De la même manière, lors de l’application de la législation en vigueur, les juges devraient veiller dans toute la mesure du possible à ce que, parmi toutes les interprétations possibles, soit privilégiée celle qui rende le droit national conforme aux normes internationales, même si celles-ci relèvent de la « soft law ».

c.         Respect des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme

46.          Dans certains pays, avant même d’introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, il est possible de demander la révision judiciaire d’une décision définitive qui semble contraire aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, le CCJE observe que, dans bon nombre de systèmes juridiques, la Cour européenne des droits de l’homme doit déjà avoir rendu un arrêt contre l’Etat concerné pour que ce recours puisse être exercé.

47.          En général, il n’est possible de former une demande en réparation pour une violation de la Convention européenne des droits de l'homme qu’après que la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation ; dans la plupart des pays, il est impossible de demander aux juridictions nationales de constater la violation et d’accorder une indemnisation.

48.          Le CCJE est conscient du fait que, dans la plupart des Etats, les mesures d’exécution des arrêts de la Cour ne sont pas prévues par le droit national ; dans certains Etats, ces mesures peuvent être décidées par la Cour constitutionnelle.

49.          Soulignant l’importance de faire respecter les droits fondamentaux inscrits dans la Convention européenne des droits de l'homme, et rappelant que les juges nationaux sont aussi des juges européens, le CCJE encourage les juges, lorsque cela est possible, à user de toutes les possibilités d’interprétation et d’application des règles de procédure dont ils disposent a) pour rouvrir les procédures en cas de violation de la Convention, avant même que la Cour ait rendu son arrêt et b) pour accorder une réparation aux victimes de violations dès que possible. Le législateur devrait envisager de modifier les règles de procédure pour que les systèmes judiciaires nationaux puissent remplir leur mission européenne plus facilement[10].

rÉsumÉ des RecommAndations ET conclusions

A.         Dans les domaines de la formation des juges au droit international et européen, de l’accès des juges à l’information pertinente, des cours de langues étrangères et des services de traduction, le CCJE recommande ce qui suit :

a)         tout en protégeant l’indépendance du corps judiciaire par l’intermédiaire des instances indépendantes appropriées responsables de la formation des magistrats, les Etats devraient fournir les moyens nécessaires pour assurer la formation des juges au droit international et européen ;

b)         il faudrait faire en sorte que les futurs juges connaissent la législation et la jurisprudence internationales et européennes, en intégrant ces matières dans les programmes des facultés de droit ;

c)         une connaissance suffisante du droit international et européen devrait figurer parmi les conditions de nomination aux postes judiciaires, avant la prise de fonctions ;

d)         le droit international et européen devrait occuper une place appropriée dans la formation initiale et continue des juges ; dans le domaine du droit international et européen, les actions de formation sont plus efficaces si elles s’appuient sur une coopération internationale entre les organismes nationaux de formation judiciaire ;

e)         des informations sur le droit international et européen, y compris les décisions des tribunaux internationaux et européens, devraient être mises à la disposition des juges ; il faudrait garantir l’accès des juges à des informations dûment indexées et annotées, grâce à la collaboration des services de documentation des tribunaux, des bibliothèques et des assistants des juges ; les informations fournies devraient être complètes et à jour ;

f)          des mesures appropriées – comprenant aussi le versement d’aides – devraient permettre aux juges d’acquérir une connaissance suffisante des langues étrangères ; en outre, les tribunaux devraient disposer de services de traduction et d’interprétation de qualité, qui ne soient pas financés au moyen du budget ordinaire consacré au fonctionnement des tribunaux.

B.         Compte tenu de l’importance des relations et de la coopération des institutions judiciaires nationales, à la fois entre elles et avec les institutions judiciaires internationales, notamment européennes, le CCJE encourage :

a)         les contacts directs et le dialogue entre toutes ces institutions, par exemple dans le cadre de conférences, de séminaires et de réunions bilatérales, notamment de réunions restreintes, qui présentent un intérêt particulier ;

b)         les visites et les programmes d’étude, comme ceux qui sont organisés par les organismes de formation judiciaire nationaux, les institutions judiciaires nationales et certaines juridictions internationales, à l’intention de juges venant d’autres institutions judiciaires, nationales ou internationales ;

c)         la participation à ces contacts, dialogues, visites et programmes, de juges issus de tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, et pas uniquement des niveaux supérieurs ;

d)         la mise à disposition d’informations et l’adoption de mesures visant à faciliter l’accès des juges nationaux aux mêmes sites web et aux mêmes bases de données que les membres d’autres institutions judiciaires nationales ou internationales.

C.         Malgré les différences entre les systèmes juridiques en Europe, le CCJE salue les efforts que les autorités judiciaires nationales peuvent faire, dans leur rôle d’interprète de la loi et de gardien de  l’Etat de Droit, si nécessaire au moyen d’échanges d’idées appropriés avec les autorités judiciaires d’autres pays, pour atteindre les objectifs suivants :

(a)           tout en respectant la législation nationale, veiller à ce que le droit et la pratique internes soient conformes au droit international et européen, tel qu’applicable dans les Etats concernés ;

(b)           réduire, dans la mesure du possible, les différences d’application de ce principe dans les systèmes liés par la même norme internationale ;

(c)           veiller tout particulièrement à ce que le droit et la pratique internes respectent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; à cette fin, il conviendrait notamment, lorsque cela est possible, de garantir la réouverture de la procédure après que la Cour européenne des droits de l'homme ait conclu à la violation de la Convention européenne des droits de l’homme ou de ses protocoles et lorsque les conséquences de la violation ne peuvent raisonnablement être effacées ou réparées par un autre moyen ;

(d)           prendre dûment en considération les recommandations du Conseil de l'Europe.



[1] Adopté par le Comité des Ministres lors de sa 740ème réunion, document CCJE (2001)24.

[2] Le droit européen doit ici être entendu dans un sens large : les instruments du Conseil de l’Europe, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que le droit de la communauté européenne et les autres instruments de l’union européenne le cas échéant et lorsqu’il est applicable aux Etats membres.

[3] Voir le point IV d) du Programme cadre d’action global pour les juges en Europe.          

[4] Les Etats membres du Conseil de l’Europe participent au « Réseau de Lisbonne » (réseau d’échange d’informations sur la formation des juges et des procureurs), composé d’organismes nationaux responsables de la formation des juges et des procureurs.

[5]  Voir en particulier les conclusions de la deuxième réunion du Réseau de Lisbonne (Bordeaux, 2-4 juillet 1997).

[6] Voir aussi le paragraphe 65 de l’Avis n° 6 (2004) sur le procès équitable dans un délai raisonnable et le rôle des juges dans le procès, en prenant en considération les modes alternatifs de règlement des litiges.

[7] Voir le point IV c) du Programme cadre d’action global pour les juges en Europe.

[8] Voir le point IV b) du Programme cadre d’action global pour les juges en Europe.

[9] Voir en particulier les conclusions de la deuxième réunion du Réseau de Lisbonne (Bordeaux, 2-4 juillet 1997).

[10] Le CCJE estime qu’il est important de rappeler qu’en vertu du Protocole n°14 à la Convention européenne des droits de l’homme, ouvert à la signature en mai 2006, le Comité des Ministres sera autorisé à saisir la Cour européenne des droits de l’homme, par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers, lorsqu’un Etat refuse de se conformer à un arrêt rendu par la Cour dans un litige auquel cet Etat est partie. Le Comité des Ministres aura aussi la possibilité de demander à la Cour de se prononcer sur une question d’interprétation d’un arrêt. Ces dispositions visent à aider le Comité des Ministres à surveiller l’exécution des arrêts, et notamment à déterminer quelles sont les mesures nécessaires pour se conformer aux arrêts.