Strasbourg, le 24 Novembre 2004                                                              CCJE (2004) OP N°6

[ccje/doc2004/ccje(2004)op n° 6f]

CONSEIL CONSULTATIF DE JUGES EUROPEENS (CCJE)

AVIS N° 6 (2004)

DU CONSEIL CONSULTATIF DE JUGES EUROPEENS (CCJE)

A L'ATTENTION DU COMITE DES MINISTRES

DU CONSEIL DE L'EUROPE

SUR LE PROCES EQUITABLE DANS UN DELAI RAISONNABLE

ET LE ROLE DES JUGES DANS LE PROCES,

EN PRENANT EN CONSIDERATION LES MODES ALTERNATIFS

DE REGLEMENT DES LITIGES

tel qu’adopté par le CCJE

lors de sa 5ème réunion

(Strasbourg, 22-24 novembre 2004)


TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION …………………………………………………………………………….3

A.        ACCES A LA JUSTICE ………………………………………………………………4

B.        LA QUALITE DU SYSTEME JUDICIAIRE ET SON EVALUATION – DONNEES STATISTIQUES QUANTITATIVES – PROCEDURES DE SUIVI ………………...6

C.        CHARGE DE TRAVAIL ET GESTION DES AFFAIRES …………………………..9

I.          ASPECTS GENERAUX …………………………………………………..…………..9

II.        JURIDICTIONS PENALES …………………………………………………………13

III.       JURIDICTIONS CIVILES …………………………………………………………..17

D.        MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES LITIGES (MARL) ……………25

RESUME DES RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS ……………………………29

ANNEXE …………………………………………………………………………………...36


INTRODUCTION

1.         Depuis quelques années, la gestion des procédures par les tribunaux en Europe évolue vers une meilleure prise en considération des intérêts des justiciables. L’attention des praticiens s’est tournée vers les moyens de répondre aux attentes du public selon lesquelles toute personne qui cherche à obtenir justice doit bénéficier non seulement d’un meilleur accès à l’institution, mais aussi d’une efficacité renforcée des procédures mises en oeuvre et de garanties plus sérieuses d’exécution des décisions rendues.

2.         L’instrument essentiel de cette évolution est la Convention européenne des Droits de l’Homme (ci-après la CEDH), avec la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après la Cour) prise pour l’interprétation et l’application de ses dispositions.

3.         En particulier, grâce à l’Article 6 de la CEDH, on assiste actuellement à l’apparition d’un fonds procédural commun aux différents Etats européens et à l’émergence de principes généraux destinés, au delà de la diversité et de la richesse des systèmes nationaux, à garantir le droit d’accès à un tribunal, le droit d’obtenir une décision dans un délai raisonnable à l’issue d’une procédure loyale et équitable ainsi que celui de parvenir à l’exécution du jugement rendu.

4.         Le droit à un procès équitable tend à devenir pour les citoyens de l’Europe un véritable droit effectif, dont la Cour et, à sa suite, les juridictions nationales assurent la mise en œuvre, par exemple par l’indemnisation des justiciables dont la cause n’a pas été jugée dans un délai raisonnable.

5.         Depuis de nombreuses années, le Conseil de l’Europe a manifesté un souci constant d’améliorer l’accès du public à la justice, comme en attestent les diverses Résolutions ou Recommandations qu’il a adoptées sur l’assistance judiciaire, la simplification des procédures, la réduction des coûts du procès, le recours aux nouvelles technologies, la réduction de la surcharge des tribunaux et les modes alternatifs de règlement des litiges.

6.         La Cour assure le respect par les différents Etats des prescriptions de l’Article 6 de la CEDH, notamment lorsqu’elle rappelle que les Etats ne peuvent porter atteinte en droit ou en fait à la possibilité offerte à toute personne souhaitant introduire une action en justice d’avoir accès à un tribunal et d’obtenir une reconnaissance effective de ses droits.

7.         Le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) s’est interrogé sur les conditions dans lesquelles le juge peut participer à cet effort entrepris pour assurer l’accès à un règlement rapide et efficace des litiges.

8.         Il rappelle que la 1ère Conférence européenne des juges sur «  Le rôle des juges dans le règlement précoce des litiges », tenue au Conseil de l’Europe les 24 et 25 novembre 2003, avait déjà permis de démontrer que, quels que soient l’intérêt et l’utilité des mesures alternatives comme la médiation ou la conciliation, la confiance dans l’institution judiciaire demeure un élément essentiel des sociétés démocratiques.

9.         Il importe donc de faire en sorte que le citoyen sache qu’en  s’adressant  à la justice, il sera en présence d’une institution efficace.

10.       Dans ce contexte, le présent Avis s’articule autour des questions d’accès à la justice (A), la qualité du système judiciaire et son évaluation - données statistiques quantitatives -procédures de suivi (B), la charge de travail et le gestion des affaires (C) et des modes alternatifs de règlement des litiges (D), en soulignant le rôle du juge dans la mise en œuvre des principes définis par la CEDH et la jurisprudence de la Cour.

A.        ACCES A LA JUSTICE

11.       L’accès du public à la justice suppose que des informations appropriées soient diffusées sur le fonctionnement des systèmes judiciaires.

12.       Le CCJE estime que toutes les initiatives permettant la diffusion de telles informations devraient être encouragées.

13.       Le public devrait notamment être éclairé sur la nature des procédures pouvant être engagées, leur durée prévisible, leur coût et les risques encourus en cas d’abus dans l’exercice des voies de droit. L’information sur les modes alternatifs de règlement des litiges à la  disposition des parties devrait être également assurée.

14.       Cette information générale du public peut s’accompagner d’informations plus précises, portant en particulier sur certaines décisions importantes rendues par des juridictions et sur les délais de traitement des affaires dans des tribunaux déterminés.

15.       Les informations relatives au fonctionnement du système judiciaire peuvent émaner de diverses sources, par exemple des ministères de la justice (éditions de brochures d’informations, sites Internet, etc.), des services sociaux, des services publics de consultations juridiques organisées par des associations d’avocats et par d’autres instances.

16.       Les juridictions elles-mêmes, notamment lorsqu’elles comportent des services chargés des relations publiques, devraient participer à la diffusion de l’information. Parmi les modes pertinents de diffusion de l’information, on peut également citer les sites Internet ouverts par certains tribunaux.

17.       Le CCJE recommande de développer les programmes éducatifs incluant une description du système judiciaire et proposant des visites dans les juridictions. Il estime également nécessaire de publier des guides du citoyen permettant aux justiciables de mieux comprendre le fonctionnement des institutions judiciaires, tout en les informant aussi sur leurs droits procéduraux devant les tribunaux. Il recommande enfin la généralisation de l’usage des technologies informatiques pour prodiguer aux citoyens le même type d’informations sur le fonctionnement des juridictions, les modes d’accès à la justice, les principales décisions rendues et les résultats statistiques des tribunaux.

18.       Le CCJE ne peut qu’encourager l’adoption de formes simplifiées et standardisées pour les documents juridiques nécessaires à l’engagement et à la poursuite des actions judiciaires. Cette simplification est particulièrement utile pour les petits litiges, pour ceux impliquant des consommateurs, ainsi qu’aux instances dans lesquelles l’établissement des points de droit et de fait ne soulève guère de difficultés (liquidation de dettes). Il recommande également de développer la technologie permettant aux justiciables de disposer par la voie informatique des documents requis pour engager une action en justice et mettant directement en relation les justiciables ou leurs représentants et les tribunaux.

19.       Le CCJE recommande enfin que les plaideurs soient complètement informés, par les avocats et les tribunaux, avant même l’engagement de la procédure, sur la nature et le montant des coûts qu’ils auront à supporter, et qu’une indication leur soit fournie sur la durée prévisible de la procédure jusqu’au jugement.

20.       Dans son Avis N° 2 (2001), paragraphe 9, le CCJE a indiqué qu’il était important que les systèmes judiciaires disposent de ressources financières suffisantes pour pouvoir fonctionner. La question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure les parties, ou toute autre personne présente au procès, peuvent ou doivent être appelées à participer à leur financement par le biais des frais de justice. Le CCJE estime que le système judiciaire ne devrait pas entraver, par des coûts excessifs, l’accès à la justice. Un système de justice efficace profite à tous, et non pas seulement à ceux qui se retrouvent impliqués dans une procédure judiciaire. Ce sont le fonctionnement harmonieux des tribunaux et l’efficacité des jugements qu’ils rendent qui attestent de l’existence d’un Etat de droit, et cela permet à chacun d’organiser et de mener ses affaires en toute sécurité et en toute confiance.

21.       Un système d’assistance judiciaire devrait être organisé par l’Etat pour permettre à toute personne de bénéficier d’un accès à la justice. Cette aide devrait couvrir non seulement les frais de la procédure, mais aussi les conseils juridiques relatifs à l’opportunité ou à la nécessité d’engager un recours en justice. Elle ne devrait pas être réservée aux personnes les plus démunies mais devrait pouvoir aussi être accordée, au moins partiellement, à celles qui disposent de revenus moyens insuffisants pour leur permettre de supporter seules le coût d’un procès.

22.       Ce système d’aide judiciaire partielle permet d’augmenter le nombre de bénéficiaires tout en assurant un certain équilibre entre l’obligation des autorités de faciliter l’accès à la justice et la responsabilité individuelle. Le CCJE estime qu’un juge ou une autre autorité judiciaire devrait pouvoir prendre part aux décisions concernant l’octroi de l’aide. Si l’autorité chargée de statuer doit pouvoir rejeter une demande d’aide judiciaire lorsque l’action envisagée apparaît manifestement irrecevable ou mal fondée, il est alors indispensable, en cas d’engagement de l’action en justice par le justiciable débouté de sa demande d’aide, que le juge ayant participé à la décision de rejet s’abstienne de juger l’affaire pour se conformer à l’obligation d’impartialité objective de l’Article 6 de la CEDH.

23.       Le CCJE estime que l’assistance judiciaire devrait faire l’objet d’un financement public et devrait faire l’objet d’un budget particulier, afin que les frais correspondants ne soient pas imputés sur le budget de fonctionnement des tribunaux.

24.       L’assistance des parties par un avocat est un élément important de l’accès des plaideurs à la justice.

25.       Le CCJE constate que dans certains Etats, l’intervention d’un avocat au cours de la procédure n’est pas nécessaire. D’autres Etats distinguent selon l’importance financière, la nature du litige ou de la procédure. Le droit pour un justiciable de se défendre en justice en personne ou par le représentant de son choix apparaît particulièrement adapté aux procédures simplifiées, aux litiges d’intérêt financier mineur et aux affaires impliquant des consommateurs.

26.       Néanmoins, même pour les litiges a priori dispensés du ministère d’avocat, le CCJE estime nécessaire de prévoir que le juge puisse, à titre exceptionnel, imposer l’intervention de cet auxiliaire de justice si l’affaire présente des difficultés particulières ou s’il existe un risque important d’atteinte à la défense. La représentation par avocat devrait alors s’accompagner d’un système d’assistance judiciaire efficace.

27.       La Résolution (78) 8[1] indique (paragraphe 1 de l’annexe) que « nul ne doit être empêché par des obstacles de caractère économique de faire valoir ou de défendre ses droits (…) ».

28.       Il faut néanmoins veiller à ce que le mode de fixation de la rémunération des auxiliaires de justice n’encourage pas l’accomplissement d’actes de procédure superflus. Il faut aussi prévoir, dans la continuité de la Recommandation N° R (84) 5[2] (principes 2-1 de l’annexe), la sanction des abus de procédure.

29.       L’assistance judiciaire n’est pas le seul moyen susceptible de favoriser l’accès à la justice. Parmi les autres moyens pouvant être mis en œuvre à cette fin, on peut citer par exemple l’assurance pour frais judiciaires, couvrant les frais judiciaires propres d’une partie et/ou tout montant dû à l’autre partie en cas de perte du procès.

30.       Le CCJE n’entend pas, en revanche, développer dans le cadre du présent avis certaines autres modalités d’accès à la justice, notamment le système des honoraires conditionnels ou le système des frais fixes.

B.        LA QUALITE DU SYSTEME JUDICIAIRE ET SON EVALUATION – DONNEES STATISTIQUES QUANTITATIVES – PROCEDURES DE SUIVI

31.       Le service de la justice n’englobe pas uniquement le travail des juges et des autres professionnels du droit, mais aussi un certain nombre d’activités menées au sein des institutions judiciaires par des agents gouvernementaux et des particuliers; le fonctionnement de ce service repose en grande partie sur les infrastructures judiciaires (bâtiments, équipements, personnel d’assistance, etc.). La qualité du système judiciaire dépend donc à la fois de la qualité des infrastructures, qui peut être mesurée à l’aide de critères ressemblant à ceux qui s’appliquent à d’autres services publics, et de l’aptitude des professionnels du droit (juges, mais aussi avocats, procureurs et greffiers). Même aujourd’hui, le travail de ces professionnels ne peut être évalué que par rapport aux seuls repères du droit et de la pratique et de la déontologie professionnels ou judiciaires.

32.       Etant donné, toutefois, que dans la plupart des pays, la demande croissante de justice se heurte aux restrictions budgétaires subies par le système judiciaire, la théorie et la pratique indiquent la possibilité d’évaluer la qualité de l’activité judiciaire en s’intéressant aussi à son efficacité sociale et économique, au moyen de critères parfois analogues à ceux employés pour d’autres services publics.

33.       Le CCJE note que plusieurs problèmes se posent lorsqu’on applique à la justice des critères d’évaluation ne tenant pas compte de ses spécificités. Bien que des considérations analogues puissent s’appliquer aux activités d’autres professionnels du droit, le CCJE a limité son examen aux implications d’une telle approche pour l’activité judiciaire.

34.       Le CCJE souligne fermement, tout d’abord, que l’évaluation de la « qualité » de la justice (c’est-à-dire le travail fourni par le système judiciaire dans son ensemble ou par chaque tribunal ou groupe local de tribunaux) ne devrait pas être confondue avec l’appréciation des capacités professionnelles de tel ou tel juge. L’appréciation professionnelle des juges, notamment celle qui est censée aboutir à des décisions importantes pour leur statut ou leur carrière, est une tâche qui a d’autres objets et doit être accomplie en fonction de critères objectifs, avec toutes les garanties d’indépendance judiciaire voulues (voir Avis N° 1 (2001) du CCJE, en particulier paragraphe 45).

35.       Or, la pratique de certains pays fait apparaître un chevauchement, que le CCJE estime inapproprié, entre l’évaluation qualitative de la justice et l’appréciation professionnelle des juges. La manière dont les statistiques sont collectées reflète ce chevauchement. Certains pays établissent des statistiques pour chaque juge, et d’autres pour chaque tribunal. Dans l’un et l’autre cas, on tient probablement compte du nombre d’affaires traitées, mais le premier système attache ce nombre à des individus. Les systèmes reposant sur une appréciation statistique des juges dénombrent généralement aussi les appels gagnés contre les décisions de ces juges.

36.       Certains pays considèrent le pourcentage de décisions réformées en appel comme un indicateur. Une évaluation objective de la qualité des décisions judiciaires peut être l’un des éléments de l’appréciation professionnelle d’un juge (mais même dans ce contexte, il faudrait tenir compte du principe de l’indépendance de chaque juge à l’intérieur du système judiciaire, et du fait que la réformation d’une décision en appel est une issue judiciaire parmi d’autres, et non pas le signe d’une faute professionnelle de la part du juge de première instance). Cependant, le CCJE estime qu’il est inapproprié de faire de la proportion de décisions réformées en appel le seul indicateur ou un indicateur nécessairement important pour évaluer la qualité de l’activité judiciaire. Parmi les aspects qui pourraient être examinés par rapport à ce problème, le CCJE souligne une spécificité du système judiciaire fondé sur des « procédures »: la qualité de l’issue d’une affaire dépend beaucoup de la qualité des phases procédurales antérieures (engagées par la police, le ministère public, les avocats ou les parties), ce qui rend impossible d’évaluer l’activité judiciaire sans évaluer chaque contexte procédural.

37.       Les mêmes remarques valent pour d’autres systèmes dans lesquels une certaine évaluation est possible pour les décisions des juges, au moyen de méthodes autres que le décompte des décisions réformées.

38.       Dans certains pays, on évalue la qualité de la justice par la collecte de données qui servent à mesurer le travail de chaque tribunal à partir des éléments suivants : le temps qu’il lui faut en moyenne pour traiter une affaire, le nombre d’affaires qu’il laisse en souffrance, l’effectif du personnel d’assistance, les aspects quantitatif et qualitatif des infrastructures (en particulier les bâtiments et l’informatique), etc.

39.       Cette formule est en principe acceptable, car elle tend à évaluer le « travail » de la justice dans un sens plus large. Mais il faut bien voir que l’approche plus correcte, de l’avis du CCJE, consisterait à évaluer la justice dans un contexte encore plus vaste, c'est-à-dire dans ses interactions avec d’autres variables (juges et avocats, justice et police, jurisprudence et législation, etc.), car la plupart des dysfonctionnements de l’appareiljudiciaire viennent d’un manque de coordination entre les divers acteurs. De l’avis du CCJE, il est également essentiel de souligner le lien entre la qualité de la justice et la présence de personnel d’assistance et d’infrastructures de qualité.

40.       Même si l’informatique permet aujourd’hui la collecte de données très complexes, il reste la difficulté de savoir quelles variables sont à mesurer et comment et par qui les résultats doivent être interprétés.

41.       S’agissant des données à collecter, il n’existe à l’heure actuelle aucun critère universellement accepté. Cela tient à ce que le système judiciaire diffère beaucoup des tâches purement administratives caractérisant d’autres services publics, où la mesure à l’aide d’indicateurs s’est développée et peut être efficace. Par exemple, le fait qu’un tribunal met en moyenne plus de temps qu’un autre à traiter une affaire ou qu’il en laisse un plus grand nombre en souffrance ne signifie pas forcément que ce tribunal est moins efficace.

42.       Quels que puissent être les faits nouveaux en la matière, le CCJE estime que la « qualité » de la justice ne devrait pas être considérée comme synonyme de la simple « productivité » du système judiciaire ; mieux vaut adopter une démarche qualitative consistant à évaluer l’aptitude du système à répondre à la « demande de justice », conformément aux buts généraux du système judiciaire, sachant que la rapidité des procédures n’est que l’un de ces buts.

43.       Le CCJE recommande que, vu l’impossibilité actuelle de s’en remettre à des critères largement admis, les indicateurs de qualité soient du moins choisis sur la base d’un large consensus entre professionnels du droit. Il serait bon, à cet égard, que l’organisme indépendant d’autogestion de la magistrature joue un rôle central dans le choix et la collecte de données « qualitatives », l’élaboration de la procédure de collecte des données, ainsi que l’évaluation des résultats et leur diffusion en retour à chacun des acteurs concernés, en toute confidentialité, et au grand public ; ainsi seraient conciliées la nécessité d’une évaluation qualitative et celle du respect de l’indépendance judiciaire par les indicateurs et évaluateurs.

44.       D’ordinaire, les données statistiques sont collectées par les tribunaux et adressées à l’autorité centrale, qui peut être la Cour suprême, le Conseil supérieur de la magistrature, le ministère de la Justice ou l’administration judiciaire nationale. Les greffiers peuvent jouer un rôle important dans la collecte quotidienne de données. Il est arrivé que des agences privées prennent part à l’identification d’indicateurs de qualité et à l’élaboration d’un système de contrôle de la qualité.

45.       La publication de données statistiques relatives aux affaires traitées et pendantes de chaque tribunal, qui se pratique dans certains Etats, constitue un pas de plus vers la transparence en matière de charge de travail. Il conviendrait d’étudier des formules appropriées pour la communication d’informations – même réservées – aux chercheurs et aux tribunaux concernés, pour permettre d’apporter des améliorations au système.

46.       Ce n’est que rarement que l’autorité centrale chargée de rassembler les données procède à un suivi constant. Et encore ce suivi n’a-t-il pas toujours un effet direct et immédiat sur l’organisation des tribunaux ou la répartition des ressources humaines et matérielles.

47.       Le CCJE estime, d’une part qu’il est dans l’intérêt de la justice que la collecte et le suivi des données se fassent de façon régulière, d’autre part que des procédures appropriées autorisent une adaptation rapide de l’organisation des tribunaux à l’évolution de leur volume de travail.[3] Pour concilier la satisfaction de cet impératif avec les garanties d’indépendance de la magistrature (à savoir le principe d’inamovibilité des juges et l’interdiction de dessaisir un juge d’une affaire), il semble opportun au CCJE que l’organisme indépendant dont il est question aux paragraphes 37 et 45 de son Avis N° 1 (2001) soit l’autorité compétente pour la collecte et le suivi des données ; et si un autre organisme a compétence pour accomplir ces tâches, l’Etat devrait veiller à ce que celles-ci restent dans le domaine public afin de préserver les intérêts politiques pertinents liés au traitement des données à caractère judiciaire. L’organisme indépendant devrait néanmoins être habilité à prendre les mesures nécessaires pour adapter l’organisation des tribunaux à l’évolution de leur volume de travail.

48.       Une coopération harmonieuse devrait se mettre en place entre tous les acteurs en ce qui concerne l’interprétation et la diffusion des données.

C.        CHARGE DE TRAVAIL ET GESTION DES AFFAIRES

49.       La présente section porte sur les mesures susceptibles de réduire la charge de travail des juridictions et sur les mesures destinées à les aider à gérer les affaires dont elles sont saisies. Le CCJE regroupe ces sujets[4] car ils sont tous les deux importants pour la façon dont les juridictions exercent leur fonction consistant à garantir un procès équitable dans un délai raisonnable et ils se recouvrent dans une certaine mesure.

I.          ASPECTS GENERAUX

50.       Les mesures de réduction de la charge de travail des juridictions comprennent les mesures qui n’ont que cette fin et celles qui ont une valeur indépendante. La Recommandation N° R (86) 12 énumère les mesures applicables à des degrés différents aux juridictions pénales et aux juridictions civiles[5]. Les Recommandations N° R (87) 18[6] et N° R (95) 12[7] traitent spécifiquement des affaires pénales. A titre d’exemple, des mesures telles que celles visant à décharger les juges des tâches non juridictionnelles ou à assurer une répartition équilibrée de la charge de travail concourent directement à la réalisation de l’objectif d’une charge de travail appropriée. Le règlement librement accepté (négocié entre les parties elles-mêmes ou obtenu par médiation[8]) a une valeur indépendante, expression des principes de liberté de choix et de consentement, par opposition à un règlement imposé par le tribunal. La dépénalisation des infractions mineures peut être retenue pour réduire la charge de travail, à moins qu’elle ne fasse écho à la conclusion selon laquelle il est préférable de traiter le cas de certains types de délinquants (juvéniles, par exemple) en dehors du système officiel de justice pénale. La clarté des motifs peut aider à dégager les mérites de telle ou telle proposition.

51.       Le CCJE commence par aborder des sujets divers au regard desquels les positions pénales et civiles peuvent être envisagées ensemble ou comparées.

a)         L’administration des tribunaux

52.       Le CCJE a identifié deux modèles de base de gestion des tribunaux[9]. Dans l’un, les juges interviennent peu ou indirectement dans la gestion des tribunaux. Ils peuvent, en conséquence, consacrer plus de temps à juger qu’à accomplir des tâches extrajudiciaires pour lesquelles ils ne sont peut-être pas faits de par leur formation ou leur disposition personnelle. Les décisions concernant la gestion budgétaire, l’emploi du personnel et les bâtiments des tribunaux sont entre les mains des administrateurs même s’il est vrai que les tribunaux ne pourraient pas fonctionner correctement sans que les juges soient, au minimum, consultés sur les questions administratives. Quel que soit le système utilisé, l’argent pour le faire fonctionner devant émaner du gouvernement central, ce système aide à maintenir les juges à l’écart des pressions politiques qui résultent de l’obligation d’atteindre des objectifs de performance.

53.       Un de ses inconvénients tient au fait que l’objectif premier du système judiciaire, à savoir un traitement efficace et équitable des affaires, peut seulement être réalisé par les juges. Or, dans ce modèle, ils ont très peu de contrôle sur l’environnement dans lequel ils s’efforcent d’atteindre cet objectif.

54.       Dans le deuxième modèle de base, le juge présidant chaque tribunal en assure également la gestion. Il dispose, pour le moins, d’une certaine latitude en ce qui concerne les dépenses budgétaires, le recrutement et le renvoi du personnel, et l’infrastructure du tribunal. Les avantages et les inconvénients sont à l’opposé du premier modèle : les juges sont détournés de leur fonction première et amenés à assumer des tâches auxquelles leur formation ne les a peut-être pas préparés. Ils risquent davantage de se retrouver en conflit avecl’autorité publique. D’un autre côté, ils exercent un véritable contrôle sur les moyens de rendre la justice dans leurs tribunaux et influent davantage sur la politique juridictionnelle s’agissant de l’allocation des ressources.

55.       Nombreux sont les pays qui disposent de systèmes se situant quelque part entre ces deux extrêmes. Il est admis qu’il est de plus en plus important que les juges soient consultés et qu’ils aient la possibilité d’influer sur les décisions essentielles concernant la définition d’une justice moderne et les priorités en jeu. Le CCJE en rappelle la nécessité.

                                                            La variation de la charge de travail

56.       La charge de travail de certains tribunaux est appelée à croître ou à décroître au fil du temps, ce qui est dû aux évolutions démographiques et, dans le domaine pénal, aux évolutions des comportements criminels. Ces évolutions peuvent être temporaires. A titre d’exemple, un tribunal situé à proximité de la frontière peut connaître un accroissement considérable des affaires concernant l’immigration clandestine et un tribunal situé à proximité d’un aéroport une augmentation des affaires concernant les drogues importées.

57.       Dans certains pays, les juges et/ou les affaires peuvent être, au moins à titre temporaire, transférés d’un tribunal à un autre. Le CCJE considère que cette souplesse est une bonne chose en général, pourvu que l’indépendance individuelle des juges soit respectée et, s’il y a un transfert d’un juge, que celui-ci y consente. Il est naturellement conscient que l’application de cette solution n’en devrait pas moins tenir compte des problèmes pratiques liés à l’accès à la justice. Les personnes concernées par les affaires et le public en général sont en droit d’attendre que les tribunaux ayant à connaître de ces affaires soient situés à proximité et faciles d’accès.

58.       Dans d’autres pays, le juge qui s’est vu confier l’affaire ne change pas, le transfert d’un juge nécessite son consentement et le transfert des affaires, lorsqu’il est autorisé, n’est possible qu’avec le consentement des parties. Il peut toutefois exister au sein d’un tribunal quel qu’il soit des mécanismes selon lesquels, par exemple, un présidium élu de juges décide de reprendre des affaires à un juge surchargé pour les confier à un autre juge du même tribunal.

59.       Les variations permanentes de la charge de travail appellent des changements correspondants de la taille du tribunal, en particulier dans la dernière catégorie de pays. Des considérations purement économiques (laissant entrevoir la possibilité de fermer un tribunal local) entrent ici en conflit avec le droit des parties et du public à une justice de proximité et accessible. Le CCJE invite les pays à étudier et à définir des critères appropriés qui permettent de prendre en considération et d’équilibrer tous ces aspects en veillant à ce que, sous couvert d’adaptation à l’évolution de la charge de travail, les changements apportés aux moyens des tribunaux ne soient pas conçus comme une méthode pour porter atteinte à l’indépendance des juges.

60.       Néanmoins, le CCJE fait référence à son Avis N° 2 (2001), en particulier aux paragraphes 4 et 5, concernant des ressources adéquates. La possibilité de transférer des juges ou des dossiers d'un tribunal à un autre ne devrait pas encourager à accepter le manque structurel de ressources. Une telle flexibilité ne devrait pas influer sur un nombre suffisant de juges, nécessaire pour répondre à la charge de travail normalement prévue.

c)         Le recours à un juge unique

61.       Au pénal, la Recommandation N° R (87) 18, paragraphe D.2 dispose que « chaque fois que le degré de gravité de l’affaire le permet, celle-ci devrait être soumise à un juge unique ». Mais dans des cas graves mettant en jeu la liberté de l’individu, la collégialité de l’établissement des faits garantie par un collège de trois juges, ou davantage, professionnels ou non, est une importante sauvegarde contre l’adoption de décisions influencées par les préjugés ou les visions particulières. Dans la pratique, les affaires les moins graves sont généralement tranchées par un juge unique et les affaires les plus graves le sont par un collège de juges, encore que la ligne séparant ces deux catégories soit loin de se situer au même niveau dans tous les pays.

62.       Au civil, selon la pratique généralement suivie dans les pays de common law, les juges statuant en première instance (qui sont des praticiens nommés à un stade relativement avancé de leur carrière professionnelle) siègent seuls. Dans d’autres pays disposant d’une magistrature professionnelle (et dans des pays tels que la France, où les juges des tribunaux de commerce ne sont pas des professionnels), il est encore recouru à des collèges en première instance, même si l’on relève une tendance au recours plus fréquent à un juge unique.

63.       Le recours aux collèges peut compenser le manque d’expérience de certains de leurs membres pris individuellement. Il concourt à assurer une qualité constante et à faire acquérir de l’expérience aux jeunes juges. Il peut s’avérer difficile d’abandonner ce système si un juge jeune ou non professionnel devait être le seul membre d’un tribunal de première instance.

64.       Le CCJE estime que les pays devraient encourager la formation et l’organisation des carrières afin de faciliter le recours aux juges uniques pour statuer sur les affaires en première instance, partout où cela peut être réalisé compte tenu de l’expérience et des capacités des juges disponibles et de la nature des procédures en question.

(d)       L’assistance des juges

65.       Dans son Avis N° 2 (2001), le CCJE a constaté que dans de nombreux pays les moyens mis à la disposition des juges sont insuffisants. Toutefois, le CCJE doit bien souligner qu’une véritable réduction des tâches non juridictionnelles des juges n’est possible qu’à la condition de fournir aux juges des assistants ayant de bonnes qualifications dans le domaine juridique (assistants des juges  ou «référendaires»), auxquels le juge peut déléguer, sous son contrôle et sa responsabilité, certaines activités telles que la recherche en matière de législation et de jurisprudence, la rédaction de documents faciles ou normalisés, ainsi que les relations avec les avocats et/ou le public.

e)         Activité extrajudiciaire

66.       Le CCJE partage l’opinion selon laquelle les activités non juridictionnelles énumérées dans l’annexe à la Recommandation N° R (86) 12 ne devraient pasen principe être confiées à des juges. Mais il existe d’autres activités susceptibles d’empêcher les juges de remplir leurs fonctions judiciaires ou de nuire à l’exercice de ces fonctions, y compris des activités concernant l’administration des tribunaux, pour lesquelles le tribunal ne dispose pas d’un personnel ou de crédits suffisants (voir point (a) ci-dessus) et les activités d’arbitre privé, ce qui est en tout cas dans la majorité des Etats inadmissible.

67.       Par ailleurs, les juges sont souvent critiqués pour le temps qu’ils passent à siéger dans des commissions ou autres organes de ce type. Le point de vue existe selon lequel « un juge doit juger », l’exercice de toute autre activité revenant à gaspiller une ressource précieuse.

68.       Le CCJE ne considère pas qu’il faille attacher trop d’importance à cet argument. Si la commission en question examine un aspect en rapport avec le travail judiciaire et que le juge puisse enrichir le travail de cet organe, le temps qu’il y passe ne saurait être considéré comme gaspillé. Qui plus est, le juge sera plus performant dans son travail dans la mesure où il aura des choses la vision plus large que peut lui conférer sa collaboration avec des professionnels d’autres disciplines sur des sujets qui, sans relever de son activité normale, n’en sont pas moins liés à cette activité.

69.       D’un autre côté, le risque existe de voir des juges participer à des enquêtes menées pour des raisons politiques, impliquant des jugements sur des matières non juridiques pouvant ne pas relever de leur expérience directe. Il appartient aux juges d’examiner avec soin s’il est judicieux pour eux de mettre leur compétence et leur réputation au service d’enquêtes de cette nature[10].

f)         La représentation en justice et le financement des frais de justice

70.       Au pénal, il est vrai que l’assistance judiciaire ou la représentation par conseil gratuite devrait être disponible sans détermination du bien-fondé des thèses du prévenu. Le problème semble tenir à l’existence des profondes différences observées selon les pays en ce qui concerne la nature et le degré de gravité des affaires pour lesquelles cette assistance et cette représentation sont disponibles. Mais au civil, on craint que les modes de financement de la procédure judiciaire n’invitent à introduire des actions non fondées ou abusives, et cela ne se limite pas à l’assurance judiciaire[11]. Dans tout ordre juridique, le travail est attiré par les secteurs où il y a la possibilité de recevoir des honoraires. Il importe de mettre en place des systèmes de contrôle appropriés pour évaluer à l’avance le bien-fondé des requêtes et refuser l’assistance judiciaire aux personnes dont la requête ne semble pas, quant au fond et/ou à la somme en jeu, justifier la dépense à laquelle on peut s’attendre[12].

II.        JURIDICTIONS PENALES

71.       Le CCJE se tourne ensuite vers des sujets d’ordre spécifiquement pénal. Il importe d’emblée de rappeler deux différences évidentes, mais fondamentales entre les procédures pénales et les procédures civiles :

i) Les procédures civiles mettent presque toujours en présence deux parties privées. Le public s’intéresse à l’expédition satisfaisante de la procédure, non à l’issue de telle ou telle affaire.  Dans les procédures pénales, le public s’intéresse véritablement au règlement satisfaisant de chaque affaire.

ii) Au civil, les retards ou les vices de procédure peuvent être sanctionnés par une condamnation aux dépens ou, en ultime recours, par la radiation de l’affaire. Au pénal, une sanction pécuniaire peut être infligée à la partie poursuivante[13] ou, dans les situations extrêmes, le juge peut classer l’affaire.  Il est beaucoup plus difficile de sanctionner un prévenu pour un retard ou un vice de procédure, encore que, dans certains pays, l’avocat de la défense puisse être condamné à payer les dépenses inutiles. En général, le prévenu lui-même n’a pas les moyens de payer les dépens. Et il n’est pas possible d’appliquer la sanction définitive de la radiation de son affaire. Le tribunal ne peut pas dire qu’il est déchu de son droit à un procès parce qu’il n’a pas respecté une règle de procédure.

72.       A la lumière des considérations qui précèdent, le CCJE examine certains problèmes spécifiques.

a)         Recours au principe de l’opportunité des poursuites

73.       La Recommandation N° R (87) 18 reprend à son compte le principe de l’opportunité des poursuites « toutes les fois que le contexte historique et la constitution des Etats membres le permettent », et dispose que, « si tel ne devait pas être le cas, il conviendrait de mettre au point des mesures visant à la même finalité ». Dans ces derniers pays, la mission des ministères publics indépendants peut exiger que les affaires soient portées devant un tribunal et, si quelqu’un a le pouvoir de suspendre l’action pénale, ce ne peut être qu’un juge.

74.       La Recommandation dispose que toute décision de renoncer à engager des poursuites devrait être « déterminé(e) par la loi » (paragraphe I.2), devrait être « appliqué(e) sur une base générale telle que l’intérêt public » (paragraphe I.4) et ne devrait intervenir que « si l’autorité de poursuite dispose d’indices suffisants de culpabilité » (paragraphe I.3). Pour le CCJE, la troisième condition signifie que la question de l’opportunité des poursuites n’est susceptible de se poser que dans le cas où l’autorité de poursuite dispose d’indices suffisants de culpabilité. Mais lorsque des indices suffisants n’ont pas (encore) été réunis, le CCJE considère qu’un organe d’instruction devrait pouvoir juger que le degré de gravité et les autres circonstances de l’infraction, la personnalité du suspect et la situation de la victime ne justifient pas que l’on consente des efforts supplémentaires pour recueillir d’autres éléments de preuve.

75.       La Recommandation dispose également qu’une décision de ne pas engager de poursuites pénales ou d’y mettre fin peut être assortie d’un avertissement ou d’une admonestation, ou être subordonnée au respect de certaines conditions (sous réserve, dans ce dernier cas, du consentement de l’auteur présumé de l’infraction); qu’elle ne doit pas être assimilée à une déclaration de culpabilité ni être inscrite au casier judiciaire de l’auteur de l’infraction, à moins qu’il n’ait reconnu en être l’auteur; et qu’elle devrait laisser intact le droit de la victime de demander réparation. Dans la pratique, la majorité des Etats (mais pas tous, tant s’en faut) appliquent jusqu’à un certain point le principe de l’opportunité des poursuites. Une distinction peut être opérée entre les systèmes qui subordonnent le classement de l’affaire à des conditions telles que l’indemnisation de la victime et ceux qui offrent une certaine latitude pour mettre fin aux poursuites dans les cas où l’on estime que la poursuite de l’action n’est pas dans l’intérêt du public.

76.       Trois structures de base sont actuellement représentées en Europe :

i)          L’autorité de poursuite n’a ni le pouvoir de classer une affaire, ni celui d’imposer des conditions/sanctions au délinquant si les éléments de preuve justifient les poursuites. Son unique fonction est de mettre l’affaire en l’état d’être jugée par le tribunal.

ii)         L’autorité de poursuite a le pouvoir de décider de l’opportunité d’engager des poursuites (en l’occurrence, de classer une affaire) même s’il existe suffisamment de preuves pour poursuivre.

iii)        L’autorité de poursuite dispose, à la fois, du pouvoir de décider de l’opportunité d’engager des poursuites et de la possibilité, en tant que solution de remplacement à une action en justice et avec le consentement du délinquant, de classer l’affaire en l’assortissant de conditions ou du prononcé d’une amende à son encontre. Au sein de cette vaste catégorie, il existe des différences considérables en ce qui concerne le pouvoir de poursuites. Dans certains pays, un large éventail de conditions, en particulier, une assistance socio-psychologique et des travaux d’intérêt général, peuvent être imposées. D’autres pays admettent uniquement le paiement d’une somme d’argent.

77.       Le CCJE invite les Etats qui n’ont pas encore institué de système fondé sur le recours au principe de l’opportunité des poursuites ou de système équivalent à réaliser des études en vue de donner effet à la Recommandation N° R (87) 18. Le CCJE estime que chaque Etat devrait réfléchir au rôle que les tribunauxpourraient avoir dans la vérification de la procédure suivie, spécialement lorsque la victime conteste la décision de l’autorité de poursuite d’abandonner l’affaire.

b)         Procédures simplifiées

78.       Tous les Etats membres ont institué des procédures simplifiées, par exemple pour les infractions administratives et les infractions mineures, même si la nature et l’étendue de telles procédures varient considérablement. Il convient de tenir compte des incidences des articles 5 et 6 de la CEDH au moment d’instituer et de mettre à la disposition des justiciables des procédures de ce genre en prévoyant toujours la possibilité d’un recours devant le juge.

c)         Reconnaissance de culpabilité (guilty pleas) et transaction pénale (plea bargaining)

79.       La Recommandation N° R (87) 18 les recommande en principe. Elle envisage une reconnaissance de culpabilité à un stade précoce de la procédure, ce qui correspond au modèle de la common law. Toutefois, peu d’Etats disposent d’un système institutionnalisé de ce type. Ce système – et, plus particulièrement, ce dont il peut être assorti, à savoir la transaction pénale et une réduction de peine en échange de cette reconnaissance de culpabilité – est inacceptable pour de nombreux pays de droit civil. Cependant, un certain nombre de pays disposent d’un système de procédure simplifiée en cas de reconnaissance de la culpabilité. Celui-ci fonctionne d’une manière analogue à une reconnaissance formelle dans la mesure où il permet la présentation de moyens de preuves moins nombreux et un déroulement plus rapide de la procédure.

80.       Le CCJE recense ci-après les avantages (considérés comme tels par les systèmes de common law) et les risques potentiels d’un système institutionnalisé fondé sur la déclaration  de culpabilité :

i)          Reconnaissance de culpabilité (guilty pleas)

81.       Si, à un stade précoce de la procédure, le prévenu peut être invité à fournir, devant un juge, une indication formelle selon laquelle il reconnaît sa culpabilité et qu’il soit en mesure de le faire, une économie substantielle de temps et d’argent sera réalisée. Le fait que cette reconnaissance intervienne dans un cadre formel permet de mettre en place des garanties pour le prévenu. Un aveu fait à la police peut avoir été obtenu irrégulièrement. Une reconnaissance de culpabilité montre qu’il n’en a pas été ainsi. Il importe toutefois que les avocats soient tenus de confirmer avec le prévenu qu’il reconnaît effectivement les éléments légaux constitutifs de l’infraction.

ii)         Transaction pénale (plea bargaining)

82.       Il faut ici distinguer entre la transaction sur les chefs d’accusation et la transaction sur la peine.

83.       Dans la transaction sur les chefs d’accusation, il y a un accord, formel ou informel, avec l’autorité de poursuite, aux termes duquel celle-ci s’engage à abandonner un ou plusieurs chefs d’accusation si le prévenu reconnaît sa culpabilité pour d’autres (dans le cas d’une infraction moins grave, par exemple). Le juge n’est en principe pas impliqué dans cette transaction même si son approbation peut être requise. L’argument qui milite en faveur de ce système est que si le prévenu est disposé à reconnaître sa culpabilité pour neuf vols qualifiés sur les dix qu’il aurait commis, une  justice efficace ne saurait avoir intérêt à le poursuivre pour le dixième chef d’accusation uniquement parce qu’il existe suffisamment d’éléments pour le juger pour l’ensemble des infractions qui lui sont reprochées.

84.       Un certain nombre de pays ont également institué la transaction sur la peine. Mais les systèmes de common law considèrent qu’il est très risqué d’y impliquer le juge. En effet, le prévenu pourrait se sentir contraint de plaider coupable du chef d’une infraction pour laquelle il ne reconnaît pas véritablement sa culpabilité afin que le juge appelé à prononcer la condamnation lui inflige une peine plus légère.

 

iii)        Réduction de peine

85.       Il s’agit d’une notion différente en ce qu’elle ne fait pas intervenir une transaction avec qui que ce soit, ministère public ou juge. Selon cette notion (acceptée dans certains pays), le prévenu qui plaide coupable doit en principe bénéficier d’une peine plus légère que s’il ne l’avait pas fait – plus tôt il reconnaît sa culpabilité, plus forte est la réduction de peine[14].

86.       On peut reculer devant cette idée en faisant valoir que l’on ne peut pas défaire ce que le prévenu a fait et qu’une fois prouvée, l’infraction mérite une certaine peine, que le prévenu ait ou non reconnu sa culpabilité.  L’argument selon lequel une reconnaissance de culpabilité montre que le prévenu éprouve des remords est dans la plupart des cas illusoire. Dans certains cas, une réponse sociale de principe est possible pour les systèmes où la procédure est essentiellement orale. L’audience contradictoire peut constituer un traumatismelorsque le principal témoin (en particulier les enfants et les victimes d’agressions sexuelles) est vulnérable. En pareil cas, la reconnaissance de culpabilité du prévenu rend l’audience inutile et celui-ci atténue ou évite le préjudice que ses actions auraient causé s’il en avait été autrement.

87.       Hormis ce petit nombre de cas, une telle réponse n’est pas valable. Si un individu est accusé, au vu de ses empreintes digitales et de preuves scientifiques, d’avoir commis une série de vols qualifiés, les seuls témoins auxquels il aura évité de témoigner sont des professionnels ayant l’habitude de déposer en justice. Dans ces conditions, la raison qui pousse à offrir une réduction de peine en contrepartie d’une reconnaissance de culpabilité tient aux avantages pratiques de cette reconnaissance : i) elle garantit la condamnation des délinquants qui se savent coupables mais qui, en d’autres circonstances, ne seraient pas motivés à ne pas tenir à un procès dans l’espoir que les éléments retenus contre eux ou les témoins à charge pourraient ne pas convaincre un jury ou un juge, et ii) elle raccourcit la durée des affaires (en diminuant d’autant le délai d’attente de jugement pour les autres affaires), même dans les cas où un véritable procès aurait abouti de toute manière à une condamnation. Ce sont là des avantages concrets pour l’ensemble de la société.

88.       Mais il ne fait aucun doute que, si les réductions de peine sont autorisées, il faut mettre en place des garde-fous. Les avocats et les juges devraient s’assurer que les reconnaissances de culpabilité sont librement consenties et authentiques. Les juges ne devraient mentionner aucune discussion entre les avocats et le prévenu au sujet de la possibilité d’une telle réduction de peine et ne devraient pas y être impliqués. Ils devraient avoir le pouvoir de ne pas approuver une transaction dont la sincérité est douteuse ou qui n’est pas conforme à l’intérêt général.

89.       Le CCJE ne juge pas réaliste de recommander à tous les Etats membres de mettre immédiatement en place un système de réduction des peines en contrepartie d’une reconnaissance de culpabilité. Mais il invite tous les pays à considérer si un tel système ne pourrait pas procurer des avantages à leur système de justice pénale.

III.       JURIDICTIONS CIVILES  

90.       La Recommandation N° R (84) 5 a recensé neuf « principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice ». Il s’agit là d’une recommandation empreinte de clairvoyance, mais restée largement inappliquée. Le CCJE considère que si elle l’était d’une façon générale, elle offrirait une réelle garantie de respect par les Etats de l’obligation découlant de l’Article 6 de la CEDH de garantir à toute personne, dans les procédures civiles, le « droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ».

91.       Les neuf principes énoncent les éléments de base des fonctions de gestion des affaires qui, de l’avis du CCJE, devraient être confiées aux juges et que ceux-ci devraient exercer depuis le début de toutes les procédures civiles (y compris administratives) jusqu’à leur conclusion afin d’assurer le respect des dispositions de l’Article 6 de la CEDH. Le CCJE va donc récapituler et commenter certains de ces principes d’une façon assez détaillée.

92.       Selon le Principe 1 de la Recommandation, le procès devrait « compter au plus deux audiences », à savoir une audience préliminaire et une autre au cours de laquelle les preuves sont administrées, l’affaire discutée et, si possible, le jugement rendu, toute remise de la cause étant interdite, « sauf en cas de faits nouveaux ou d’autres circonstances exceptionnelles et importantes », et des sanctions pouvant être prises contre les parties, les témoins et les experts qui ne respecteraient pas les délais fixés par la loi ou le juge ou qui ne se présenteraient pas au procès.

93.       Le CCJE voit dans ce principe un modèle général. Dans certains systèmes, les preuves sont administrées sur plusieurs audiences. D’autres accueillent certaines affaires d’envergure qui ne pourraient assurément pas être conduites dans les limites d’une audience préliminaire et d’une audience finale. Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que les juges devraient avoir d’emblée le contrôle du calendrier et de la durée de la procédure, en fixant des dates définitives et en ayant le pouvoir (qu’ils seraient disposés à exercer en tant que de besoin) de refuser toute remise de la cause, fût-ce contre le voeu des deux parties.  

94.       En vertu du Principe 2, les juges devraient avoir le pouvoir de s’opposer à toute utilisation abusive de la procédure en imposant des sanctions à une partie ou aux avocats.

95.       Le Principe 3 reflète l’esprit de la gestion moderne des affaires :

« Le juge devrait (…) jouer un rôle actif afin d’assurer, dans le respect des droits des parties et du principe de leur égalité, un déroulement rapide des procédures. Notamment, il devrait avoir, d’office, les pouvoirs de demander aux parties toutes clarifications utiles, de les faire comparaître personnellement, de soulever des questions de droit, de rechercher les preuves au moins dans les cas où le fond du litige n’est pas à la disposition des parties, de diriger l’administration des preuves, d’exclure des témoins si leur déposition éventuelle manque de pertinence par rapport à l’affaire, de limiter le nombre, s’il est excessif, des témoins appelés à déposer sur les mêmes faits  (…). »

96.       Le Principe 4 complète le précédent en disposant que le juge devrait pouvoir, sauf dans les cas expressément prévus par la loi, décider s’il convient de suivre une procédure écrite ou orale.

97.       Le Principe 5 traite de ce qui est, de l’avis du CCJE, un aspect essentiel d’une gestion efficace des affaires, à savoir la nécessité, pour les parties, de présenter leurs prétentions et leurs moyens de preuve aussitôt que possible au début de la procédure – et celle, pour le juge, de ne pas admettre de faits nouveaux en appel, sauf s’ils n’étaient pas (et, comme le propose le CCJE, ne pouvaient raisonnablement pas avoir été) connus en première instance ou s’il existe une raison exceptionnelle de les admettre.

98.       Dans certains pays, les règles ou la culture régissant la procédure judiciaire permettent aux parties de modifier et de compléter leur position et leurs moyens de preuve presque sans aucune limite – même devant la juridiction d’appel (voir plus loin). Le CCJE estime que cela n’est plus acceptable et qu’il est temps de réexaminer ces règles et de faire évoluer cette culture. Les parties ont droit, s’agissant de leurs prétentions ou de leurs moyens de défense, à « ce que leur cause soit entendue équitablement, … dans un délai raisonnable », non à un nombre indéfini de possibilités de faire valoir des allégations supplémentaires et différentes – et surtout par le biais d’une seconde instance de recours.

99.       Le Principe 6 est une recommandation importante énonçant que « Le jugement devrait être rendu dès la fin de la procédure ou le plus tôt après celle-ci. Il devrait être aussi concis que possible. Il peut se fonder librement sur toute règle juridique mais doit répondre de façon certaine, expresse ou implicite, à toutes les demandes formulées par les parties. » Certains Etats ou juridictions appliquent des règles plus ou moins formelles  qui indiquent le délai maximal dans lequel le jugement doit être rendu. Le Principe 7 (« Des mesures devraient être prises pour décourager l’utilisation abusive des voies de recours ») se trouve en dehors du souci central du présent Avis.

100.     Le Principe 8 recense certains aspects de la gestion des affaires, notamment en prévoyant des règles particulières a) en cas d’urgence, b) lorsqu’un droit n’est pas contesté ou que la créance est certaine ou que l’objet du litige est de faible valeur, c) applicables à certains types d’affaires. Il cite notamment les mesures suivantes :

« forme simplifiée de l’acte introductif d’instance; suppression d’audience ou tenue d’une seule audience et (…) d’une audience préliminaire préparatoire; procédure exclusivement écrite ou ... exclusivement orale (…); prohibition ou limitation de soulever certaines exceptions ou défenses; administration libre des preuves; prohibition de concéder des remises ou bien limitation à des remises à bref délai; expertise judiciaire (…); rôle actif du juge dans la conduite de la cause et dans la recherche et l’administration des preuves. »

101.     Le Principe 9 souligne la nécessité de la mise des « moyens techniques les plus modernes (...) à la disposition des autorités judiciaires ».  Le CCJE sanctionne et souligne le lien entre une technologie efficace et la capacité des juges de conserver la trace et le contrôle des procédures judiciaires qu’ils ont ou que leurs collègues du même tribunal ont à traiter.

102.     La logique générale qui inspire tous ces principes est que le contentieux civil risque de devenir de plus en plus complexe et de traîner en longueur au point de ne plus pouvoir satisfaire aux exigences de l’Article 6 (1) de la CEDH, ni dans telle ou telle cause, ni dans toutes autres causes dont la rapidité et l’efficacité de la conduite sont indirectement influencées par le temps et les ressources consacrés aux précédentes.

103.     Les Etats devraient consacrer des ressources et des moyens financiers suffisants – mais pas illimités – aux procédures civiles comme aux procédures pénales[15]. Etant donné que ni l’Etat ni les parties ne disposent de ressources illimitées, les juges doivent exercer un contrôle sur les procédures, dans l’intérêt à la fois des parties à une cause donnée et des parties aux autres causes.

104.     Chaque procédure devrait être conduite « de façon proportionnée », à savoir, à la fois de façon à permettre aux parties concernées d’obtenir justice pour un coût qui soit en rapport avec les problèmes et les sommes en jeu et d’une manière qui permette aux autres justiciables d’obtenir leur juste part du temps dont dispose le juge pour traiter leurs litiges.

105.     En somme, les parties ont droit à une part appropriée du temps et de l’attention du juge, mais il appartient au juge, lorsqu’il apprécie ladite proportionnalité, de prendre en considération les besoins et la charge pesant sur autrui, notamment l’Etat qui finance le système judiciaire et les autres parties à d’autres causes qui souhaitent en faire usage.

106.     Les principes énoncés dans la Recommandation N° R (84) 5 sont appliqués à des degrés divers suivant les pays. L’orientation générale des réformes de la procédure judiciaire civile de ces dernières années est allée dans ce sens. Les juges se sont vu reconnaître des pouvoirs accrus en ce qui concerne la « conduite formelle » de la procédure civile, mais non sur le fond – à titre d’exemple, il ne leur est pas permis de prendre des dispositions en vue d’introduire, dans une affaire, des éléments de preuve que les parties n’ont pas produits. Toutefois, dans certains Etats membres, il n’appartient toujours pas au juge de décider s’il convient de suivre une procédure orale ou écrite, ou dans quel cas il y a lieu de recourir à une procédure simplifiée ou de fixer des délais, car ces questions sont réglementées par la loi. Le CCJE estime que ces restrictions aux pouvoirs de contrôle et d’impulsion du juge sur le déroulement de la procédure ne vont pas dans le sens de l’efficacité de la justice.

107.     Le CCJE va à présent examiner certaines procédures qui ont été adoptées ou proposées dans ce domaine.

a)         Les protocoles précédant une action en justice

108.     Ces protocoles, élaborés au Royaume-Uni, fixent les mesures à prendre avant même l’introduction de l’instance. Ils sont établis de concert par les représentants des deux parties à certains types habituels de litiges (dommage corporel ou faute médicale ou assureurs de l’industrie du bâtiment, avocats et organes concernés). Ils ont pour objet de répertorier de bonne heure les problèmes par l’échange d’informations et de pièces, ce qui peut permettre aux parties d’éviter la procédure judiciaire et de parvenir à un arrangement. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, lesdits protocoles placent les parties dans une situation beaucoup plus favorable pour ce qui est de respecter les délais imposés lorsque la procédure aura été engagée. Le juge peut sanctionner le non-respect des mesures prévues dans un protocole précédant une action en justice.

b)         Information précédant une action en justice

109.     Il s’agit d’une particularité de la procédure judiciaire qui permet au juge, avant l’ouverture de cette procédure, d’enjoindre à une personne susceptible d’être partie à la procédure de divulguer des pièces, lorsque cela est souhaitable, entres autres raisons, pour permettre à cette personne de savoir si les faits justifient bien qu’une action soit introduite ou pour lui permettre de prendre en connaissance de cause des dispositions pour régler le litige à l’amiable, sans recourir à la procédure judiciaire.

c)         Mesures conservatoires

110.     Il importe de pouvoir prendre, selon les besoins, des mesures conservatoires à un stade précoce, notamment, dans certains cas, avant la notification de l’objet de l’action au défendeur, faute de quoi elles risquent de perdre leur utilité.

111.     Il existe un large éventail de mesures conservatoires disponibles. On peut les classer en trois grandes catégories :

i) les mesures visant à garantir l’exécution, par exemple une saisie ou une injonction visant à « geler » telle situation de fait dans l’attente du procès;

ii) les mesures visant au règlement provisoire de la situation (par exemple, en matière familiale); et

iii) les mesures anticipant le jugement final.

112.     Dans de nombreux pays, le plaignant doit présenter une apparence de droit (fumus bonis iuris) et doit en principe, démontrer qu’en l’absence de pareilles mesures, il existe un risque de ne pouvoir exécuter le jugement final obtenu quel qu’il soit (periculum in mora). La mesure peut être ordonnée sans entendre la partie adverse (ex parte) mais, une fois l’ordonnance rendue, le défendeur est en droit d’être entendu lorsque la mesure risque d’être soit confirmée, soit annulée.

113.     Le redressement par voie d’injonction est également souvent utilisable dans d’autres situations dans les Etats membres (parfois uniquement lorsque le recours a un fondement écrit), en vue de régler provisoirement certain(s) aspect(s) du litige. Les pays de common law ont également développé l’application de l’ordonnance « Anton Piller », qui permet à un juge d’ordonner la recherche de documents ou d’autres éléments de preuve qui sont en la possession ou sous le contrôle du défendeur et qui, à défaut, risqueraient d’être détruits ou dissimulés. En France et dans d’autres pays, les mesures d’instruction in futurum peuvent remplir une fonction analogue.

d)         Introduction de l’instance

114.     La plupart des Etats membres ont mis en place des méthodes simplifiées (notamment électroniques) d’introduction de l’instance. Les différences qui existent entre les méthodes traditionnelles d’introduction de l’instance rendent cependant difficile la comparaison entre les différentes méthodes de simplification. Dans certains pays, par exemple, l’instance est toujours ouverte par des mesures prises à l’audience, alors que, dans d’autres, le plaignant est tenu de notifier la plainte au défendeur avant d’engager une action en justice. Dans ces derniers Etats, la simplification peut se réduire à autoriser l’ouverture de l’instance sans que pareille mesure soit prise. 

e)         Identification des prétentions des parties

115.     Le CCJE a déjà souligné l’importance de cet aspect en analysant (plus haut) le Principe 5 de la Recommandation N° R (84) 5. Il est essentiel pour la bonne gestion des affaires d’exiger de chaque partie à une action civile qu’elle soit aussi explicite que possible, et aussitôt que possible, à propos de sa position – et qu’elle puisse modifier ou compléter cette position non de plein droit, mais avec l’autorisation du juge, que celui-ci ne devrait accorder ou refuser que compte tenu du stade atteint par la procédure et de l’effet que les modifications ou adjonctions pourraient avoir sur la conduite de cette procédure ainsi que sur les autres parties.

f)         Procédures sommaires

116.     Les différences terminologiques sont importantes dans ce domaine. Les concepts de procédure sommaire, simplifiée et accélérée n’ont pas la même signification dans tous les Etats. Certains parlent de procédure sommaire lorsque la décision finale n’a pas force de chose jugée, de procédure simplifiée lorsque certaines étapes ont été éliminées ou facilitées, et de procédure accélérée lorsque les délais ont été raccourcis par rapport à ceux d’une procédure ordinaire. Ces caractéristiques peuvent bien évidemment coïncider, de sorte qu’une procédure peut être tout à la fois sommaire, simplifiée et accélérée. 

117.     Les pays de common law, de leur côté, appliquent le mot « sommaires » aux procédures simplifiées et accélérées débouchant sur une décision finale (force de chose jugée), bien qu’ils aient également institué des procédures débouchant sur un jugement provisoire, par exemple des procédures permettant au juge, s’il a pu établir à titre provisoire que le défendeur devra acquitter une dette ou sera civilement responsable, d’ordonner un versement « provisoire » d’un montant n’excédant pas une « proportion raisonnable » de la somme due au plaignant. Si, à l’audience, ce dernier ne parvient pas à prouver le bien-fondé de sa réclamation, il lui faudra rembourser le versement provisoire augmenté d’intérêts.

118.     Deux procédures de droit civil revêtent une importance particulière : i) l’ « injonction de payer » (Mahnverfahren), ii) le « référé » ou, aux Pays-Bas, kort geding:

(i) L’injonction de payer (ou Mahnverfahren) est une procédure particulièrement bien adaptée aux créances monétaires qui ne sont pas contestées. A la demande du plaignant, le juge rend une injonction de payer sans avoir entendu le débiteur. Dans certains pays, un fondement écrit est nécessaire pour rendre l’injonction; dans d’autres, la déclaration faite par le plaignant suffit. En cas d’inertie du débiteur pendant le délai légal, l’injonction acquiert force exécutoire à l’instar d’un jugement ordinaire. Si le défendeur s’y oppose, le plaignant doit engager une procédure normale s’il souhaite recouvrer sa créance. C’est le silence du débiteur qui transforme l’ordonnance de paiement initiale en décision juridictionnelle et exécutoire, ayant force de chose jugée. Dans certains pays, la procédure est confiée au greffier. Il s’agit d’une procédure écrite qui autorise un traitement informatisé (qui fonctionne déjà dans certains pays). De nombreuses affaires sont réglées au moyen de cette procédure.  

(ii) La procédure du « référé » ou kort geding permet à un juge de statuer sur toute question après avoir entendu les parties au vu du nombre parfois limité de preuves qu’elles sont à même de produire devant le tribunal à bref délai. Le juge rend, soit immédiatement après avoir entendu les parties, soit dans un délai très rapproché, une décision qui est immédiatement exécutoire mais dépourvue de la force de chose jugée. Une partie est libre d’engager une procédure sur le fond. Si aucune procédure n’est engagée, le jugement de référé déterminera les droits et obligations des parties. De la sorte, la procédure sur le fond reste rare. Du fait de l’importance du « référé », ce type de procédure est en principe confié à un juge expérimenté (qui est souvent le président du tribunal). Dans la pratique, la procédure du référé contribue également à réduire la charge de travail d’un tribunal et à éviter la lenteur qui, dans certains pays, est inhérente aux procédures civiles ordinaires.     

g)         Jugements interlocutoires

119.     La faculté “d’ordonner une audience distincte pour chaque question” peut avoir une grande importance. Pour prendre un exemple, les questions essentielles à la compétence devraient, de l’avis du CCJE, être tranchées par un jugement distinct en début de procédure. On éviterait ainsi d’avoir à tenir de longs débats, inutiles et coûteux, pour examiner le fond de l’affaire. Mais certains pays n’ont institué aucune procédure de jugement interlocutoire et, dans d’autres, un jugement de ce type ne peut faire l’objet d’un recours qu’une fois que la juridiction de première instance a achevé l’examen de la cause et a adopté une décision.

120.     Le CCJE est bien conscient de la nécessité de choisir et de définir avec soin les questions pouvant être traitées par la procédure du jugement interlocutoire. Il peut arriver que l’on consacre du temps, de l’énergie et des moyens financiers à une question interlocutoire (ou à un recours formé à l’occasion d’une question interlocutoire) alors qu’il serait plus rapide et plus simple de régler le reste de l’affaire. Avec cette mise en garde, le CCJE recommande d’instituer une procédure de jugement interlocutoire et d’autoriser en principe les recours immédiats  formés contre un jugement interlocutoire.

121.     Les voies de droit permettant d’éviter les retards causés par ces recours devraient consister soit à instituer une règle selon laquelle il faudrait obtenir l’autorisation du tribunal de première instance ou de la cour d’appel pour former un recours immédiat soit à accélérer le fonctionnement de la juridiction d’appel.

h)         Preuves et pièces

122.     Dans la plupart des Etats, les règles de la preuve sont flexibles. Dans le cadre des procédures conservatoires et sommaires, le jugement ne se fonde pas nécessairement sur la preuve intégrale. Dans les pays de droit civil, s’agissant des mesures conservatoires, le plaignant doit seulement présenter un commencement de preuve; dans les pays de common law, il doit en principe présenter seulement une affaire défendable au vu des faits.

123.     Il existe des différences importantes entre les pays de common law et les pays de droit civil en ce qui concerne la communication des pièces. Dans les premiers, chaque partie est tenue de communiquer spontanément les pièces pertinentes (à savoir les pièces sur lesquelles elle fonde son allégation ou qui, matériellement, influent sur sa cause ou qui confortent la cause de la partie adverse). L’obligation de communiquer des pièces favorables mais aussi défavorables incite souvent à rechercher un arrangement – soit avant, soit après la communication des pièces. Elle aide également grandement à l’établissement des faits à l’audience.

124.     Cette procédure repose toutefois sur l’honnêteté des conseils juridiques lorsqu’ils informent leurs clients en ce qui concerne la production des pièces. Elle entraîne également des coûts judiciaires et autres, liés à la collecte et à la production des pièces. C’est la raison pour laquelle l’on peut considérer qu’elle convient parfaitement aux affaires d’envergure et aux affaires complexes.

125.     Dans bon nombre d’autres pays (en particulier les systèmes de droit civil), une partie peut seulement accéder à une pièce détenue par la partie adverse et sur laquelle celle-ci n’entend pas se fonder, en sollicitant une ordonnance enjoignant de mettre la pièce en question à sa disposition.  Cela suppose que la partie requérante ait préalablement connaissance de l’existence de la pièce et qu’elle l’identifie, ce qui n’est pas toujours aisé.

i)          Pouvoirs généraux en matière de gestion des affaires

126.     Ceux-ci sont importants à chaque étape de la procédure civile en vue de permettre une gestion appropriée et proportionnée des affaires. Les juges devraient pouvoir les exercer en donnant des instructions écrites sans que les parties aient nécessairement le droit d’être entendues. Ils devraient pouvoir les exercer conformément à la Recommandation N° R (84) 5 à la fois, relativement à la phase préparatoire préliminaire à l’audience et à l’audience elle-même.

j)          Frais, dépens et intérêts incitatifs

127.     Le droit anglais et certains autres systèmes ont institué des dispositions pour des offres de règlement du litige et de paiement à l’audience qui peuvent avoir des conséquences financières graves pour la partie qui, à l’audience, ne réussit pas à faire une offre meilleure que celle faite antérieurement par l’autre partie. Un demandeur peut proposer d’accepter ou un défendeur de payer, moins que la totalité de la réclamation (dans le cas d’une réclamation pécuniaire, le défendeur doit également donner suite à son offre en versant la somme d’argent à l’audience). Si le demandeur reçoit davantage que la somme qu’il était disposé à accepter ou si le défendeur est sommé de payer une somme inférieure à celle qu’il s’était proposé de payer, il peut, exception faite des petits litiges, en résulter des conséquences défavorables sous la forme de frais et également, s’agissant du défendeur, d’intérêts.

128.     Dans certains pays, où les honoraires des avocats sont réglementés par la loi, le législateur a, en vue d’inciter les avocats à favoriser les arrangements, relevé les honoraires d’arrangement légaux des avocats à 150 % du taux plein.

k)         Exécution

129.     Il existe actuellement des différences dans l’attitude adoptée à l’égard de l’exécution des jugements de première instance. Dans les systèmes de common law, la règle générale veut que ces jugements soient exécutoires de plein droit à moins que le juge n’ordonne, pour une bonne raison, un sursis à l’exécution. Une bonne raison pourrait être la probabilité de ne pas recouvrer des sommes versées si le jugement était ultérieurement retourné (en appel). Dans les pays de droit civil, en revanche, la situation est tantôt régie par la loi, tantôt laissée à la libre appréciation du juge. Dans ce cas, le juge peut accorder une exécution provisoire, en particulier s’il y a un risque, pendant une période d’appel, de voir apparaître une situation ou de voir la partie perdante créer une situation qui ne permettrait pas de respecter les dispositions du jugement. En principe, cependant, il est alors demandé à la partie ayant obtenu gain de cause de verser une caution pour tout dommage qui viendrait à se produire du fait de l’exécution du jugement si ce dernier était annulé en appel. On peut dire qu’il est d’usage, dans le cas de jugements pécuniaires, que la loi ou le juge confère force exécutoire au jugement, sauf dépôt d’une caution par le débiteur.

130.     Le CCJE estime que, pour assurer l’efficacité de la justice, tous les pays devraient instituer des procédures d’exécution provisoire, qui devraient en principe être ordonnées dès lors qu’existeraient pour la partie perdante des garanties satisfaisantes contre l’éventualité d’un appel accueilli.

l)          Voies de recours

131.     Les différents systèmes de recours peuvent être divisés en deux grandes catégories: a) les recours limités à la révision des points de droit et à l’appréciation des preuves sans possibilité en appel d’introduire de nouveaux éléments de preuve ou de se prononcer sur un point qui n’a pas été soulevé en première instance; et b) les recours ignorant pareilles restrictions, le juge pouvant recevoir de nouveaux éléments de preuve et prendre en compte des points nouveaux soulevés dans la procédure engagée devant la juridiction d’appel.

132.     Il existe des systèmes intermédiaires qui, dans certains cas et devant certaines juridictions, autorisent ce que l’on appelle la « voie de recours ordinaire » illimitée, mais, dans d’autres cas et devant d’autres juridictions (comme une Cour de cassation ou une Cour suprême), n’autorisent que le “recours extraordinaire” que représente un “réexamen” limité et ne pouvant intervenir que dans des circonstances particulières.

133.     On explique parfois les différences qui existent entre (a) et (b) par le fait que, dans le premier groupe, le recours est essentiellement conçu comme une technique permettant d’assurer une application uniforme des principes juridiques (ius constitutionis), tandis que, dans l’autre groupe, il est considéré comme un droit procédural dont la fonction principale est de donner à une partie une nouvelle chance (ius litigationis). Cela soulève la question de savoir s’il est nécessaire ou souhaitable de conférer à une partie un tel droit procédural devant n’importe quelle juridiction, même de seconde instance.

134.     Lorsqu’il a examiné le Principe 5 de la Recommandation N° R (84) 5 (voir plus haut), le CCJE a relevé que le droit à une voie de recours n’est nullement prescrit par l’Article 6 de la CEDH.

135.     Tout en étant conscient du poids de la tradition dans certains pays favorables à l’exercice d’un droit illimité à ce qui est en fait un nouveau procès concernant des questions portées devant une juridiction de seconde instance, le CCJE tient à souligner la réprobation de principe que lui inspire cette approche. Il importe de fixer des limites au droit d’une partie de produire de nouveaux éléments de preuve ou de soulever de nouveaux points de droit. Un recours ne devrait pas être ou ne devrait pas être considéré comme une possibilité permanente d’apporter des modifications à des questions de fait ou de droit que la partie en question aurait dû présenter au juge de première instance. Cela décrédibilise le rôle du juge de première instance, dont la gestion de l’affaire peut être vidée de son sens.

136.     De l’avis du CCJE, cela aboutit généralement à contrarier les attentes légitimes de l’autre partie et à accroître la longueur, le coût et la pression de la procédure judiciaire.

137.     Le CCJE note cependant que même les pays qui acceptent un ius litigationis ont mis en place des mécanismes (comme le pouvoir de déclarer « manifestement mal fondé » des recours n’ayant aucune chance d’être accueillis) qui constituent une soupape de sécurité partielle en réduisant dans une certaine mesure l’engorgement des juridictions d’appel.

138. Le CCJE recommande en conséquence de mettre en place un contrôle des recours non fondés soit par une disposition de l’admissibilité de l’appel accordée par un tribunal, soit par un mécanisme équivalant qui permettrait d’assurer que le traitement rapide des recours fondés n’ait pas à en souffrir.

MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES LITIGES (MARL)

139.     Le Conseil de l'Europe a produit plusieurs instruments concernant les modes alternatifs de règlement des litiges (MARL)[16]. Conscient des nombreux avantages des MARL, dont leur capacité de donner lieu à un règlement rapide des litiges, le CCJE a proposé que les MARL figurent parmi les sujets traités lors de la 1re Conférence européenne des juges, dans le cadre plus large de la « gestion des affaires ».

140.     La 1ereConférence européenne des juges a démontré l’importance des MARL dans le règlement rapide des litiges[17]. Il apparaît que si les MARL ne peuvent être considérés comme un moyen parfait de réduire la surcharge de travail des tribunaux, ils n’en sont pas moins utiles et efficaces, dans la mesure où ils mettent l’accent sur un accord entre les parties, ce qui est toujours préférable à un jugement imposé.

141.     Dans l’avenir, le CCJE pourrait entreprendre une étude spécifique des MARL en général. Pour l’heure, dans le cadre de son avis consacré à la durée raisonnable du procès et au rôle des juges dans le procès, le CCJE estime qu’il est nécessaire d’encourager le développement des MARL, qui conviennent particulièrement à certains types de litiges, et de sensibiliser le public à leur existence, à la manière dont ils fonctionnent et à leur coût.

142.     Puisque les MARL et le système judiciaire poursuivent des objectifs similaires, il est essentiel qu’une assistance judiciaire soit accessible en cas de recours aux MARL comme elle l’est dans le cadre d’une procédure judiciaire normale. Néanmoins, aussi bien les ressources disponibles pour l’assistance judiciaire que toutes les autres dépenses publiques destinées à soutenir les MARL doivent être imputées à un budget spécial, et non pas au budget de fonctionnement des tribunaux (voir paragraphe 23 ci-dessus).

143.     Les discussions qui ont eu lieu au sein du CCJE avaient trait plus particulièrement à la portée de la médiation, au rôle du juge dans une décision de médiation prise en cours d’audience, à la confidentialité des opérations de médiation, à la possibilité que les tribunaux supervisent la formation/l’agrément en matière de médiation et que le juge fasse office de médiateur, et à la nécessité d’une confirmation judiciaire de l’accord entre les parties issu de la médiation. Lors de l’examen de ces questions, la distinction a été faite, chaque fois que cela était pertinent, entre les affaires pénales d’une part, et les affaires civiles (et administratives) d’autre part.

144.     S’agissant de la portée des MARL, les recommandations pertinentes du Conseil de l'Europe montrent qu’elle ne se borne pas aux procédures civiles. La portée de la médiation dans les affaires pénales soulève des questions spécifiques, auxquelles le CCJE a accordé une attention particulière dans ses débats.

145.     Contrairement à l’usage des MARL dans les affaires civiles, la médiation en matière pénale ne permet pas d’alléger la charge de travail du système judiciaire, bien qu’elle puisse contribuer à prévenir de nouvelles infractions.

146.     La Recommandation N° R (99) 19 a trait uniquement à la « médiation » entre l’auteur de l’infraction et sa victime. Mais, bien que des recherches complémentaires s’imposent, le CCJE estime qu’on assiste de nos jours à un vaste débat sur la notion plus large de « justice restauratrice », qui désigne les procédures permettant de s’écarter du processus pénal ordinaire avant que celui-ci ne commence (aussitôt après l’arrestation), après qu’il a commencé (dans le cadre du processus de condamnation), ou même pendant l’exécution de la peine. La justice restauratrice offre aux victimes, aux auteurs d’infractions et parfois aux représentants de la collectivité la possibilité de communiquer, directement ou indirectement (par le biais d’un intermédiaire, si nécessaire), au sujet de l’infraction (généralement, il s’agit d’une infraction mineure contre des biens ou d’un cas de délinquance juvénile) et de la manière de réparer le tort causé. Cela peut amener l’auteur de l’infraction à faire réparation, soit auprès de la victime si celle-ci le désire, soit auprès de la collectivité, par exemple en remettant des biens en état ou en nettoyant des locaux.

147.     Par conséquent, la justice restauratrice dans les affaires pénales a moins de portée que les MARL dans les affaires civiles ; en effet, la société peut fixer des « limites de tolérance » au-delà desquelles elle n’approuverait plus la résolution d’une affaire pénale autrement que dans le cadre normal d’une procédure judiciaire. Contrairement aux affaires civiles, la collectivité est souvent partie prenante – et à bon droit – au processus de justice restauratrice. Remettre les auteurs d’infractions en contact avec la communauté à laquelle ils ont porté préjudice, y compris en les amenant à réparer une partie des dommages qu’ils ont causés, et faire en sorte que la collectivité contribue à élaborer des solutions pour lutter contre la criminalité locale, voilà des tâches qui sont au cœur d’une grande partie de la justice restauratrice.

148.     A plusieurs égards, les systèmes de justice restauratrice demandent à être mis en œuvre avec plus de soins que les MARL dans les litiges civils, car il est beaucoup plus délicat de nouer le dialogue entre la victime et l’auteur d’une infraction que de réunir deux parties à un litige civil ; le succès de l’opération dépend en partie d’une évolution culturelle chez les praticiens de la justice pénale, habitués à un procès normal et à une justice punitive.

149.     Le CCJE s’est intéressé au rôle du juge dans les décisions de médiation, en considérant tout d’abord que, dans les procédures civiles et administratives, le recours à la médiation pouvait être choisi à l’initiative des parties ou, autre solution, que le juge pouvait être autorisé à recommander que les parties aillent devant un médiateur, le refus des parties pouvant parfois avoir une influence sur la prise en charge des frais et dépens.

150.     Le second système présente l’avantage de faire entamer un dialogue aux parties, qui répugnent en principe à rechercher un accord ; dans la pratique, cette démarche peut s’avérer en soi décisive pour sortir de l’impasse dans les situations contentieuses.

151.     En tout état de cause, les parties devraient aussi être autorisées à refuser le recours à la médiation, et un tel refus ne devrait pas porter atteinte au droit des parties à ce que leur cause soit entendue.

152.     S’agissant du rôle du juge dans une décision de médiation en matière pénale, il est évident que, si une affaire pénale est détournée du processus normal des poursuites avant le début du procès, le juge n’a en général aucun rôle à jouer. En revanche, pour qu’elle puisse être acheminée vers la justice restauratrice après avoir commencé, il y faut l’ordonnance d’un juge. On relève aussi, entre les pays, des différences de principes quant au caractère facultatif ou obligatoire des poursuites.

153.     Etant donné que dans le cadre du système de justice restauratrice, des obligations s’imposent à l’auteur de l’infraction et que des restrictions peuvent s’appliquer dans l’intérêt de la victime, le CCJE estime qu’il pourrait être indiqué d’officialiser par voie judiciaire toutes les dispositions en matière de justice restauratrice (ou, le cas échéant, celles qui ne se réduisent pas à de simples avertissements sans valeur juridique). Cela permettrait, en effet, de déterminer avec plus de certitude les infractions se prêtant à une justice restauratrice et les conditions régissant le respect du droit à un procès équitable, ainsi que d’autres dispositions de la CEDH.

154.     Les opérations de médiation doivent-elles être confidentielles ? Les délibérations du CCJE montrent qu’il faut répondre à cette question par l’affirmative, s’agissant des litiges en matière civile et administrative. La recherche d’un accord signifie, en général, que les parties doivent être en mesure de parler confidentiellement au médiateur d’éventuelles propositions de règlement, sans que ces informations puissent être divulguées.

                                                                                                             

155.     Il serait toutefois utile de préciser si la confidentialité doit être absolue ou si elle peut être levée d’un commun accord entre les parties. L’on devrait aussi se demander si les documents ayant servi durant la médiation peuvent être produits devant le tribunal en cas d’échec de la médiation.

156.     La procédure de médiation étant fondée sur le principe de l’accord, il semblerait possible au CCJE de lever la confidentialité si les parties en sont convenues, mais en l’absence d’un tel accord, il n’est pas approprié que le juge puisse prendre en considération des documents révélant l’attitude d’une partie, ou les propositions du médiateur concernant le règlement du litige. La question est ouverte de savoir si et dans quelle mesure le juge peut (comme il est admis dans quelques juridictions) tenir compte du refus opposé à la médiation ou à un accord amiable lorsqu’il rend une ordonnance relative aux frais de justice.

157.     S’agissant de la confidentialité des MARL dans les affaires pénales, le CCJE estime que, l’auteur d’une infraction devant être encouragé à s’exprimer franchement au cours du processus de justice restauratrice, il faut que la confidentialité s’applique aussi à ce type de MARL. Cela pose – notamment dans les systèmes où les poursuites sont obligatoires – le problème de savoir quelles conséquences entraîne nécessairement l’aveu d’autres infractions, de la part du délinquant ou de personnes ne participant pas au processus de médiation.[18]

158.     Que ce soit en matière pénale ou en matière civile ou administrative, le CCJE souligne qu’il faut associer étroitement les MARL au système judiciaire, puisque les médiateurs doivent posséder les compétences et les qualifications correspondantes et apporter les garanties d’impartialité et d’indépendance nécessaires à la prestation de ce service public.

159.     Par conséquent, le CCJE souligne l’importance de la formation à la profession de médiateur.

160.     Le recours à des médiateurs ou à des institutions de médiation extérieurs au système judiciaire est une disposition appropriée, à condition que l’institution judiciaire puisse superviser les compétences de ces médiateurs ou institutions privées, ainsi que les arrangements concernant leur intervention et le prix de leurs services. Le CCJE considère que des dispositions juridiques ou des pratiques judiciaires devraient être mises en place pour conférer au juge le pouvoir de renvoyer les parties devant un médiateur nommé selon une procédure judiciaire.

161.     Le CCJE estime qu’il est possible que les juges fassent eux-mêmes office de médiateurs. Cela permet de mettre le savoir-faire judiciaire à la disposition du grand public. Il est néanmoins essentiel de préserver l’impartialité des juges en prévoyant notamment qu’ils s’acquittent de cette tâche dans des litiges autres que ceux sur lesquels il leur incombe de statuer. Le CCJE estime qu’une mesure analogue s’imposerait dans les systèmes où le juge est déjà tenu de tenter une conciliation entre les parties.

162.     La supervision judiciaire de la désignation des médiateurs n’est que l’une des composantes d’un système visant à prévenir les dangers liés à la privatisation du règlement des litiges (et aux atteintes susceptibles d’être portées aux droits substantiels et procéduraux des parties) que peut entraîner un recours massif aux MARL. De l’avis du CCJE, il est essentiel que les tribunaux supervisent les procédures de médiation et leur issue.

163.     Les débats du CCJE ont fait apparaître que dans certaines situations, les parties devraient avoir le droit de régler leur litige au moyen d’un accord qui ne soit pas soumis à la confirmation d’un juge. Toutefois, cette confirmation pourrait s’avérer essentielle dans certaines affaires, en particulier lorsqu’il faut envisager des mesures coercitives.

164.     Dans ce cas au moins, le juge devrait posséder d’importants pouvoirs de supervision, notamment en ce qui concerne le respect de l’égalité entre les parties, la réalité de leur consentement aux mesures prévues par l’accord, ainsi que le respect de la loi et de l’intérêt public. S’agissant des aspects spécifiques de la médiation en matière pénale, le CCJE renvoie aux remarques figurant au paragraphe 147 ci-dessus.

RESUME DES RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS

A.        Accès à la justice

A.1.     Les Etats devraient diffuser les informations pertinentes concernant le fonctionnement du système judiciaire (nature des procédures pouvant être engagées, durée moyenne des procédures selon les tribunaux, coûts et risques encourus en cas d'abus dans l'exercice des voies de droit, modes alternatifs de règlement des litiges à la disposition des parties, décisions importantes rendues par les juridictions (voir paragraphes 12-15 ci-dessus).

A.2.     En particulier :

-           des guides de citoyen devraient être mis à la disposition du public ;

-           les juridictions elles‑mêmes devraient participer à la diffusion de l'information ;

-           les programmes éducatifs devraient inclure une description du système judiciaire et proposer des visites dans les juridictions (voir paragraphes 16 et 17 ci-dessus).

A.3.     Il faudrait adopter des formes simplifiées et standardisées pour les documents juridiques nécessaires à l'engagement et à la poursuite des actions judiciaires, au moins pour certains types de litiges (voir paragraphe 18 ci-dessus).

A.4.     Il faudrait développer la technologie permettant aux justiciables, grâce aux moyens informatiques :

-           de disposer des documents requis pour engager une action en justice;

-           d'être directement en relation avec les tribunaux ;

-           d'être pleinement informés, même avant l'engagement de la procédure, de la nature et du montant des coûts qu'ils devront supporter, et d'avoir une indication de la durée prévisible de la procédure jusqu'au jugement (voir paragraphe 19 ci-dessus).

A.5.     Il faut veiller à ce que le mode de fixation de la rémunération des auxiliaires de justice n'encourage pas les actes de procédures superflus (voir paragraphe 28ci-dessus).

A.6.     Il faut prévoir, conformément à la Recommandation N° R (84) 5 (principe 2‑1 de l'annexe) la sanction des abus de procédure (voir paragraphe 28ci-dessus).

A.7.     Les Etats devraient garantir le droit d'un justiciable de se défendre en justice en personne ou par le représentant de son choix, notamment dans les procédures simplifiées, les litiges d'intérêts financiers mineurs et les affaires impliquant des consommateurs ; il serait cependant nécessaire de prévoir que le juge puisse, à titre exceptionnel, imposer l'intervention d'un avocat si l'affaire présente des difficultés particulières (voir paragraphes 24-26 ci-dessus).

A.8.     L'Etat devrait organiser le système d'assistance judiciaire de manière à ce qu'il permette à toute personne de bénéficier d'un accès à la justice, couvrant non seulement les frais de procédure, mais aussi les conseils juridiques relatifs à l'opportunité ou à la nécessité d'engager un recours en justice. Cette aide ne devrait pas être réservée aux personnes les plus démunies mais devrait pouvoir aussi être accordée, au moins partiellement, à celles qui disposent de revenus moyens insuffisants pour leur permettre de supporter seules le coût d'un procès. Le juge devrait pouvoir prendre part aux décisions concernant l'octroi de l'aide, en veillant au respect de l’obligation d’impartialité objective (voir paragraphes 21 et 22 ci-dessus).

A.9.     L'assistance judiciaire devrait faire l’objet d’un financement public et faire l'objet d'un budget particulier, afin que les frais correspondants ne soient pas imputés sur le budget de fonctionnement des tribunaux (voir paragraphe 23 ci-dessus).

B.        La qualité du système judiciaire et son évaluation – données statistiques quantitatives – procédures de suivi

B.1.     La qualité du système judiciaire dépend à la fois de celle des infrastructures, qui peut être mesurée à l'aide de critères semblables à ceux appliqués à d'autres services publics, et de l’aptitude des professionnels du droit (juges, mais aussi avocats, procureurs et greffiers), dont le travail ne peut être évalué que par rapport aux seuls repères du droit et de la pratique et de la déontologie professionnelles ou judiciaires (voir paragraphe 31 ci-dessus).

B.2.     Il est nécessaire d'évaluer la qualité de l'activité judiciaire en s'intéressant aussi à son efficacité sociale et économique, au moyen de critères parfois analogues à ceux employés pour d'autres services publics (voir paragraphes 32 et 33 ci-dessus).

B.3.     L'évaluation du travail fourni par le système judiciaire dans son ensemble ou par chaque tribunal ou groupe local de tribunaux ne doit pas être confondu avec l'appréciation des capacités professionnelles de tel ou tel juge, qui a d'autres objectifs. Des considérations analogues peuvent s'appliquer aux activités d'autres professionnels du droit participant au fonctionnement du système judiciaire (voir paragraphes 33 et 34 ci-dessus).

B.4.     Lors de l'établissement des statistiques concernant le système judiciaire, il faudrait éviter le chevauchement entre l'évaluation qualitative de la justice et l'appréciation professionnelle des juges. En particulier, il est inapproprié de faire de la proportion de décisions réformées en appel le seul indicateur ou un indicateur nécessairement important d'évaluation de la qualité de l’activité judiciaire. La même remarque vaut pour d'autres systèmes dans lesquels une certaine évaluation est possible concernant les décisions individuelles des juges, au moyen d'autres méthodes que le décompte des décisions réformées en appel (voir paragraphes 35 - 37 ci-dessus).

B.5.     Bien qu'il n'existe pas actuellement de critères généralement acceptés concernant les données à collecter, le but de la collecte des données devrait être une évaluation de la justice dans un contexte plus vaste, c'est‑à‑dire dans ses interactions avec d'autres variables (juges et avocats, justice et police, jurisprudence et législation, etc.), car la plupart des dysfonctionnements de l’appareil judiciaire découlent d'un manque de coordination entre les divers acteurs (voir paragraphe 39 ci-dessus).

B.6.     Il est également essentiel de souligner le lien, dans les procédures de collecte de données, entre la qualité de la justice et la présence d'infrastructures de qualité et de personnel d'assistance adéquat (voir paragraphes 31 et 38 ci-dessus).

B.7.     En outre, la « qualité » de la justice ne devrait pas être considérée comme synonyme de la simple « productivité » du système judiciaire. Une démarche qualitative devrait plutôt évaluer l'aptitude du système à répondre à la demande de justice conformément aux buts généraux du système judiciaire, la rapidité des procédures ne constituant qu'un de ces buts (voir paragraphes 38-42ci-dessus).

B.8.     Les indicateurs de qualité devraient être choisis sur la base d'un large consensus entre professionnels du droit (voir paragraphe 43 ci-dessus).

B.9.     Il faudrait que la collecte et le suivi des données soient effectués régulièrement et que des procédures suivies par un organisme indépendant autorisent une adaptation rapide de l'organisation des tribunaux à l'évolution de leur volume de travail (voir paragraphes 46-48 ci-dessus).

B.10.   Pour concilier la satisfaction de cet impératif avec les garanties d'indépendance de la magistrature, l'organe indépendant mentionné aux paragraphes 37 et 45 de l'Avis N° 1(2001) du CCJE devrait être l'autorité compétente pour le choix et la collecte des données « de qualité », la mise au point de la procédure de collecte des données, l'évaluation des résultats, la diffusion de cette évaluation pour le retour d'informations, ainsi que les procédures de contrôle et de suivi. Les Etats devraient, de toute façon, veiller à ce que ces activités restent dans le domaine public afin de préserver les intérêts politiques pertinents liés au traitement des données à caractère judiciaire (voir paragraphes 43-48 ci-dessus).

C.        Charge de travail et gestion des affaires

Aspects généraux

C.1.     Il conviendrait de donner suite aux recommandations énoncées dans la Recommandation N° R (87) 18 au sujet de la réduction de la charge de travail des tribunaux.

C.2.     Les Etats devraient mettre des ressources suffisantes à la disposition des juridictions pénales et des juridictions civiles, et les juges devraient (même lorsqu’ils n’ont aucun rôle administratif direct) être consultés et influer sur la prise des décisions concernant la définition de la justice moderne et les priorités en jeu (voir paragraphes 52-55 ci-dessus).

C.3.     Les juges devraient encourager un règlement librement accepté (négocié par les parties elles-mêmes ou obtenu par médiation) qui a une valeur indépendante, puisqu’il est l’expression des principes de liberté de choix et de consentement, par opposition à un règlement imposé par le tribunal (voir paragraphe 50 ci-dessus et section D ci-dessous).

C.4.     Il est en général souhaitable, dans les pays où l’ordre constitutionnel l’autorise, de donner au système une certaine souplesse permettant de transférer assez facilement les juges et/ou les affaires d’un tribunal à un autre, au moins à titre temporaire et avec le consentement des juges, afin de faire face aux fluctuations de la charge de travail.  Lorsque l’on envisage de fermer un tribunal, il convient de tenir compte en toutes circonstances du droit des justiciables d’avoir facilement accès à leurs tribunaux (voir paragraphes 57-60 ci-dessus).

C.5.     L’on devrait faciliter le recours à un juge unique pour établir la culpabilité ou l’innocence dans les conditions prévues par les paragraphes 61-64 ci-dessus. Le CCJE estime également que les pays devraient encourager la formation et l’organisation des carrières afin d’avoir pleinement recours aux juges uniques pour statuer sur les affaires en première instance, partout où cela peut être réalisé compte tenu de l’expérience et des capacités des juges disponibles et de la nature des procédures en question (voir paragraphes 61-64 ci-dessus).

C.6.     Les juges devraient disposer des assistants ayant des bonnes qualifications dans le domaine juridique auxquels ils pourraient déléguer certaines activités (voir paragraphe 65 ci-dessus).

C.7.     Les activités non juridictionnelles énumérées dans la Recommandation N° R (86) 12 devraient être confiées à des organes ou personnes du personnel judiciaire autres que les juges et il conviendrait de prendre garde aux risques liés au fait d’autoriser les juges à exercer des activités privées, lesquelles peuvent avoir des incidences sur leur mission publique.  Les juges ne devraient pas être dissuadés de siéger dans des commissions ou d’autres organes non judiciaires, mais ils devraient faire preuve de prudence avant d’accepter d’examiner des affaires impliquant des jugements de nature principalement non juridique (voir paragraphes 66-69 ci-dessus).

C.8.     Au pénal, l’aide judiciaire et la représentation par conseil gratuite devraient être à la disposition des justiciables sans évaluation des thèses du prévenu. Le CCJE recommande également d’étudier les différences de nature et de gravité des affaires pour lesquelles cette aide ou cette représentation est disponible suivant les pays. Au civil, il convient de mettre en place des systèmes appropriés de contrôle afin d’évaluer à l’avance le bien-fondé des réclamations (voir paragraphe 70 ci-dessus).

C.9.     En ce qui concerne l’ensemble des aspects de la gestion des affaires, une étude comparative de l’expérience d’autres Etats fournit des renseignements précieux au sujet des mesures procédurales spécifiques qui pourraient être instituées, dont un certain nombre sont analysées de façon plus détaillée dans le texte ci-dessus.

Affaires pénales

C.10.   Les Etats qui n’ont pas encore institué de système fondé sur le principe de l’opportunité des poursuites ou son équivalent devraient réaliser de nouvelles études à ce sujet afin de donner effet à la Recommandation N° R (87) 18 (voir paragraphes 73-77 ci-dessus).

C.11.   Tous les pays devraient se demander si un système de réduction de peine en contrepartie d’une reconnaissance de culpabilité ne pourrait pas procurer des avantages à leur processus de justice pénale. Une reconnaissance de ce type devrait intervenir à l’audience et être acceptée par un juge. Les avocats devraient être professionnellement tenus de s’assurer que la reconnaissance de culpabilité est librement consentie et qu’elle comporte l’intention de reconnaître chacun des éléments de l’infraction que le prévenu est accusé d’avoir commise (voir paragraphes 79-89 ci-dessus).

Affaires civiles

C.12.   Pour se conformer à l’obligation qui leur incombe, en vertu de l’Article 6 de la CEDH, de respecter le principe selon lequel toute personne « a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable », les Etats devraient mettre à disposition des ressources suffisantes et les tribunaux devraient examiner les affaires d’une manière qui soit équitable et proportionnée aux besoins des parties et qui prennent en considération les intérêts des parties aux autres affaires et du public en général ; il s’agit de mener la procédure d’une manière qui permette aux parties de se faire rendre justice à un coût en rapport avec les questions soulevées, les montants en jeu et (sans préjudice de l’obligation incombant à l’Etat de fournir des ressources appropriées) les propres ressources du tribunal, et aux parties à d’autres affaires d’obtenir leur juste part du temps dont dispose le juge pour traiter leurs litiges (voir paragraphes 103-104 ci-dessus).

C.13.   La conduite proportionnée de la procédure judiciaire dépend de la gestion active des affaires, dont les principes de base sont énumérés dans la Recommandation N° R (84) 5. L’aspect le plus important est que les juges devraient d’emblée et pendant toute la procédure judiciaire contrôler le calendrier et la durée de la procédure, en fixant des dates définitives et en disposant du pouvoir de refuser toute remise de la cause, fut-ce contre le voeu des parties (voir paragraphes 90-102 ci-dessus).

C.14.   Les parties devraient être tenues de définir promptement leurs positions et leurs éléments de preuve respectifs et de s’y tenir, et les juges devraient avoir le pouvoir, tant en première instance qu’en appel, d’exclure toute modification et/ou adjonction de nouveaux éléments une fois que les parties ont arrêté leur position (voir paragraphes 122-125 ci-dessus).

C.15.   Les Etats devraient instituer a) des mesures conservatoires efficaces, b) des procédures sommaires, simplifiées et/ou accélérées, et c) des procédures permettant de statuer à titre préjudiciel sur certaines questions (y compris des questions juridictionnelles) et un examen rapide de tout recours formé à l’occasion de telles questions préjudicielles (voir paragraphes 111-131 ci-dessus).

C.16.   Les décisions de justice devraient être immédiatement exécutoires, nonobstant tout appel, sous réserve, le cas échéant, du dépôt d’une caution destinée à protéger la partie perdante dans l’éventualité d’un appel accueilli (voir paragraphes 129-130 ci-dessus).

C.17.   Les pays devraient envisager la possibilité de mettre en place dans leurs systèmes des freins aux recours non fondés, afin que l’expédition rapide des recours fondés n’ait pas à en souffrir (voir paragraphe 138 ci-dessus).

D.        Modes alternatifs de règlement des litiges (MARL)

D.1.     Il faut encourager le développement des MARL, et sensibiliser le public à leur existence, à la manière dont ils fonctionnent et à leurs coûts (voir paragraphe 141 ci-dessus).

D.2.     L'assistance judiciaire devrait être accessible en cas de recours aux MARL comme elle l'est dans le cadre d'une procédure judiciaire normale. Les ressources disponibles pour l'assistance judiciaire et toutes les autres dépenses publiques destinées à soutenir les MARL devraient être imputées à un budget spécial, et non au budget de fonctionnement des tribunaux (voir paragraphe 142 ci-dessus).

D.3.     Bien que, contrairement aux MARL dans les affaires civiles, la médiation en matière pénale ne permette pas d'alléger la charge de travail du système judiciaire, elle peut contribuer à prévenir de nouvelles infractions. Puisque la Recommandation N° R (99) 19 ne concerne que la « médiation » entre l'auteur de l'infraction et sa victime, il convient de poursuivre les recherches sur la notion plus large de « justice restauratrice », qui désigne les procédures permettant de s'écarter du processus pénal ordinaire avant qu'il ne commence (aussitôt après l'arrestation), après qu'il a commencé dans le cadre du processus de condamnation ou même pendant l'exécution de la peine. Puisque les systèmes de justice restauratrice exigent d'être mis en œuvre avec plus de soins que les MARL dans les litiges civils, car il est beaucoup plus délicat de mettre en contact la victime et l'auteur d'une infraction que de réunir deux parties à un litige civil. Le succès de ces systèmes dépend en partie d'une évolution culturelle chez les praticiens de la justice pénale habitués à un procès normal et à une justice punitive (voir paragraphes 146-149 ci-dessus).

D.4.     Le recours à la médiation dans les procédures civiles et administratives peut être choisi à l'initiative des parties ou, sinon, le juge devrait être autorisé à la recommander. Les parties devraient pouvoir refuser le recours à la médiation ; un refus ne devrait pas porter atteinte au droit des parties à ce que leur cause soit entendue (voir paragraphes 150-152 ci-dessus).

D.5.     En matière de médiation pénale, si une affaire pénale est détournée du processus normal des poursuites avant le début du procès, il faut l'ordonnance d'un juge. Toutes les dispositions en matière de justice restauratrice (ou, le cas échéant, celles qui ne se réduisent pas à de simples avertissements sans valeur juridique) devraient être officialisées par voie judiciaire (voir paragraphes 151-152 ci-dessus).

D.6.     Les informations fournies au cours des opérations de médiation concernant des litiges civils et administratifs devraient être confidentielles. La confidentialité peut être levée d'un commun accord entre les parties. Il faudrait se demander si et dans quelle mesure le juge peut tenir compte du refus opposé à la médiation ou à un accord amiable lorsqu'il rend une ordonnance relative aux frais de justice (voir paragraphes 154-156 ci-dessus).

D.7.     La confidentialité s'applique aussi aux MARL dans les affaires pénales, notamment dans les pays où les poursuites sont obligatoires. Cela pose le problème de savoir quelles conséquences entraîne nécessairement l’aveu d’autres infractions, de la part du délinquant ou de personnes ne participant pas au processus de médiation (voir paragraphe 157 ci-dessus).

D.8.     En matière pénale ou en matière civile ou administrative, les MARL devraient être étroitement associés au système judiciaire. Des dispositions juridiques ou des pratiques judiciaires appropriées devraient permettre au juge de renvoyer les parties devant un médiateur nommé selon une procédure judiciaire, dûment formé et possédant les compétences et les qualifications correspondantes, tout en apportant les garanties d'impartialité et d'indépendance nécessaires à ce service public (voir paragraphes 157-159 et 161 ci-dessus).

D.9.     Les juges peuvent faire eux‑mêmes office de médiateurs, puisque cela permet de mettre le savoir‑faire judiciaire à la disposition du grand public. Il est néanmoins essentiel de préserver leur impartialité, notamment en prévoyant qu'ils s'acquittent de cette tâche dans les litiges autres que ceux sur lesquels ils doivent statuer (voir paragraphe 161 ci-dessus).

D.10.   Les accords de médiation des MARL devraient être confirmés par le juge, notamment lorsqu'il faut envisager des mesures coercitives. Dans ce cas, le juge devrait posséder d'importants pouvoirs de supervision, en particulier en ce qui concerne le respect de l'égalité entre les parties, la réalité de leur consentement aux mesures prévues par l'accord ainsi que le respect de la loi et de l'intérêt public. D'autres garanties devraient concerner les aspects spécifiques de la médiation en matière pénale (voir paragraphes 162-164 ci-dessus).


ANNEXE

Les textes et instruments du Conseil de l’Europe cités dans le présent Avis

Avis N° 1 (2001) du Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), sur les normes relatives à l'indépendance et l'inamovibilité des juges.

Avis N° 2 (2001) du Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), relatif au financement et à la gestion des tribunaux au regard de l'efficacité de la justice et au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Avis N° 3 (2002) du Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité.

Résolution (78) 8 sur l’assistance judiciaire et la consultation juridique.

Recommandation N° R (84) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice.

Recommandation N° R (86) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux.

Recommandation N° R (94) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges.

Recommandation N° R (87) 18 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la simplification de la justice pénale.

Recommandation N° (95) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la gestion de la justice pénale.

Recommandation N° R (98) 1 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation familiale.

Recommandation N° R (99) 19 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière pénale.

Recommandation Rec (2001) 9 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les modes alternatifs de règlement des litiges entre les autorités administratives et les personnes privées.

Recommandation Rec (2002) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière civile.



[1] Résolution (78) 8 sur l’assistance judiciaire et la consultation juridique.

[2] Recommandation N° R (84) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice.

[3] Voir partie C, point b.

[4] La question de la charge de travail et de la gestion des affaires a été discutée dans le cadre de la 1ère Conférence européenne des juges (voir paragraphe 8 ci-dessus).

[5] Recommandation N° R (86) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux. Elle couvre :

(a)           les procédures de conciliation (ou, pour utiliser le terme actuel, de “médiation”), y compris l’obligation déontologique des avocats de rechercher la conciliation;

(b)           autres procédures de règlement des litiges en dehors de l’ordre judiciaire, y compris l’arbitrage (et, bien qu’ils ne soient pas expressément mentionnés, les ombudsmen);

(c)           le rôle du juge dans la recherche d’un règlement amiable;

(d)           le fait de décharger les juges des tâches non juridictionnelles;

(e)           la généralisation de l’institution du juge unique en première instance (par opposition aux collèges de juges);

(f)            le réexamen de la compétence des organes juridictionnels, afin d’assurer une répartition équilibrée de la charge de travail;

(g)           l’évaluation de l’incidence de l’assurance judiciaire, afin d’établir si celle-ci encourage l’introduction d’actions dénuées de fondement.

La Recommandation N° R (94) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juge a rappelé aux Etats que, pour s’acquitter de leur obligation de créer des conditions de travail adéquates pour les juges, ils doivent notamment “prendre les mesures appropriées afin de confier des tâches non juridictionnelles à d’autres personnes”, conformément à la Recommandation précédente.

[6] Recommandation N° R (87) 18 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la simplification de la justice pénale.

[7]Cette dernière Recommandation, sur la gestion de la justice pénale, contient diverses recommandations destinées à remédier aux aspects suivants : l’accroissement du nombre et de la complexité des affaires, les retards injustifiés, les difficultés budgétaires et l’augmentation des attentes du public et du personnel, traités sous les rubriques suivantes : (I) La détermination d’objectifs, (II) La gestion de la charge de travail, (III) La gestion de l’infrastructure, (IV) La gestion des ressources humaines et (V) La gestion de l’information et de la communication.

[8] Voir section D du présent Avis.

[9] Voir son Avis N° 2 (2001) sur le financement et la gestion des tribunaux, paragraphes 12 et 13.

[10] Le CCJE renvoie à son Avis N° 3 (2002), où il a traité de déontologie judiciaire.

[11] A propos de cette dernière, voir le paragraphe 26 ci-dessus.

[12] Un problème analogue est soulevé par les accords (à présent autorisés au Royaume-Uni) d’honoraires conditionnels – c’est-à-dire les accords en vertu desquels les honoraires d’avocat ne sont versés par le requérant ayant pris l’avocat en question que s’il obtient gain de cause, mais sont alors payables par le défendeur perdant, qui doit également verser aux avocats du requérant gagnant un supplément dont le montant peut aller jusqu’à 100 %. Un accord de ce type permet à un requérant impécunieux de contrarier un défendeur et de le forcer à accepter un arrangement, puisque i) le requérant et ses avocats n’ont aucun intérêt – bien au contraire – à s’entendre sur un montant d’honoraires raisonnable ; et ii) à moins que le requérant n’ait pris une assurance pour frais de justice, le défendeur, s’il gagne, a peu de chances de recouvrer des frais auprès du requérant perdant. Les tribunaux anglais ont récemment renforcé leur contrôle afin de limiter le montant des honoraires sur lequel il est possible de s’entendre dans le cadre de tels accords et les conditions auxquelles ils peuvent être conclus.

[13] On doit se demander si cela est compatible avec la nature publique du ministère public dans un grand nombre de pays.

[14] La réduction peut généralement aller jusqu’à un tiers de la longueur de la peine qui serait prononcée s’il en était autrement.

[15] Voir Avis N° 2 (2001) du CCJE.

[16] Le Conseil de l'Europe a produit les recommandations suivantes concernant les modes alternatifs de règlement des litiges :

- Recommandation N° R (98) 1du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation familiale,

- Recommandation N° R (99) 19 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière pénale,

- Recommandation Rec (2001) 9 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les modes alternatifs de règlement des litiges entre les autorités administratives et les personnes privées,

- Recommandation Rec (2002) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière civile.

[17]Cette conférence a porté principalement sur les MARL dans les affaires civiles.

[18] Au paragraphe 14 de l’annexe à la Recommandation N° R (99) 19, il est simplement indiqué que « la participation à la médiation ne doit pas être utilisée comme preuve d'admission de culpabilité dans des procédures judiciaires ultérieures ».