1er Congrès « Eurasia » des gouvernements locaux - « Le développement des stratégies de coopération »

Istanbul, Turquie, 15-17 novembre 2008

Allocution par Yavuz Mildon, Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Cher collègues,

C’est un grand honneur pour moi d’intervenir devant vous aujourd’hui, ici à Istanbul, dans mon pays natal, dans la ville où l’Europe rencontre l’Asie et où l’histoire rencontre la modernité. C’est d’autant plus un honneur pour moi que j’ai le privilège de m’adresser au premier Congrès « Eurasia » des gouvernements locaux, le premier forum des représentants des villes européennes et asiatiques qui, j’en suis sûr, ont une vaste gamme d’expériences riches et variées à partager l’une avec l’autre.

Réunir les municipalités ayant des intérêts, des problèmes et des objectifs communs, que ce soit par des jumelages, par des forums ou par des réseaux de coopération, est toujours une excellente initiative, leur facilitant la recherche de solutions et d’approches innovatrices. C’est pourquoi le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, dont je suis Président, donne son plein soutien à ce projet qui, j’en suis convaincu, va se développer dans un véritable réseau des villes représentant deux continents. Je tiens à remercier les organisateurs de ce Congrès de m’avoir donné l’opportunité de pouvoir le dire en personne et vous présenter aujourd’hui notre vision, la vision du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, d’une nouvelle collectivité urbaine que nous cherchons à construire.

Notre Congrès est un organe représentatif et la voix politique de plus de 200 000 collectivités territoriales d’Europe, la seule institution paneuropéenne chargée de veiller au développement de la démocratie locale et régionale dans les 47 pays membres du Conseil de l’Europe et, en tant que telle, une plate-forme unique de coopération dans l’espace qui s’étend de Reykjavik à Istanbul et de Lisbonne à Vladivostok.

Par ses projets et initiatives, par ses résolutions, recommandations et conventions le Congrès poursuit la cause qui est notre cause commune – de renforcer la démocratie locale et régionale, la démocratie dans nos collectivités, dans nos villes et nos régions. Notre objectif est aussi notre objectif commun – d’améliorer la gouvernance locale et régionale, urbaine et rurale et de construire, aujourd’hui, des collectivités durables et cohésives, des collectivités centrées sur le citoyen, des collectivités inclusives permettant à chacun de ses membres la pleine réalisation de son potentiel.

La coopération transfrontalière, ainsi que la coopération intermunicipale et interrégionale constituent un outil permettant d’élargir nos efforts et de faire connaître nos propositions à travers et au-delà de l’Europe, mais surtout un moyen d’engager les villes et les régions d’appliquer les principes énoncés dans nos textes et de pouvoir partager les expériences dans un espace plus large. C’est pourquoi notre Congrès s’implique activement dans les activités des réseaux municipaux ainsi que des organisations régionales, nos partenaires, dont le nombre s’accroît en Europe aujourd’hui.

Cependant, nous cherchons également à étendre notre coopération et à partager notre expérience avec nos voisins en Asie et en Afrique, au Proche-Orient et à toute la rive sud de la Méditerranée. Dans cet esprit, nous encourageons le dialogue entre les villes européennes et les villes arabes, et avons tenu le 3e Forum des villes euro-arabes à Dubaï en février cette année ; nous développons la coopération avec l’Union des pouvoirs locaux en Israël et l’Association des pouvoirs locaux palestiniens, ainsi qu’avec l’Organisation des villes arabes, qui ont – toutes les trois – le statut d’observateur auprès du Congrès ; nous cherchons à renforcer la coopération avec l’Association des municipalités du Maroc, le Congrès ayant joué un rôle essentiel dans sa création, et prenons une part active dans les Rencontres de Tanger ; enfin, nous examinons aujourd’hui la possibilité d’établir un Groupe de travail sur les villes méditerranéennes.

Le Forum que nous tenons aujourd’hui - le Congrès « Eurasia » des gouvernements locaux - s’inscrit parfaitement dans le cadre de cette coopération avec nos voisins. J’espère que cette initiative prendra toute sa place parmi les réseaux municipaux existants, et que nous pourrons développer une coopération étroite et mutuellement avantageuse pour le bénéfice de nos collectivités et de nos citoyens.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi maintenant de vous expliquer, d’une façon plus détaillée, notre vision d’une nouvelle collectivité et que nous avons élaborée au fil de nos travaux, résolutions et recommandations. Notre philosophie a trouvé son expression dans une approche intégrante visant à améliorer la gouvernance et le bien-être économique, social et environnemental des collectivités urbaines que rurales.

Cette philosophie découle de la Charte européenne de l’autonomie locale, le premier traité international qui est devenu la pierre angulaire de la démocratie territoriale en Europe et qui a inspiré les Nations-Unies pour élaborer les lignes directrices globales sur la décentralisation.

La Charte ne se réduit pas à une simple reconnaissance du besoin de décentralisation ou à la concrétisation du pouvoir croissant des collectivités locales. Elle correspond à une révolution de la pensée, à l’émergence de l’idée selon laquelle le transfert de compétences en faveur des collectivités locales leur donnera les moyens de leurs politiques, associera de plus en plus d’acteurs au processus de décision politique et nous permettra de répondre aux grands enjeux sociétaux, bien trop écrasants pour que les gouvernements nationaux s’en chargent seuls.

La Charte pose les principes selon lesquels la démocratie locale est un élément constituant de tout régime démocratique et les collectivités locales devraient être dotées des compétences et des ressources nécessaires pour offrir un premier niveau de réponse aux citoyens. C’est grâce à cette évolution de la réflexion que l’on traite aujourd’hui des problèmes aussi variés – biodiversité, cohésion interne des collectivités et cohésion des relations entre collectivités, changement climatique et consommation durable, dialogue interculturel ou encore environnement urbain.

Les collectivités, par leurs échanges, leurs réseaux, leurs organisations représentatives et la création de régions transfrontalières, deviennent progressivement une force avec laquelle il faut compter. Les gouvernements savent depuis longtemps qu’étant donné l’échelle et l’ampleur des problèmes actuels, et les attentes de plus en plus fortes des citoyens, sans le niveau local, ils ne pourraient pas apporter de réponses concrètes. L’expérience sociale, économique, environnementale - et j’ajouterais politique - des collectivités locales est un atout. Parce qu’elle est éminemment pragmatique, aucune théorie échafaudée au niveau national ne pourra la remplacer. Notre discours sur la construction d’une Europe des collectivités, d’une Europe des villes et des régions ne fait que mettre le doigt sur ce point.

Voyons ce qu’il en est du bien-être économique. Aujourd’hui, dans bien des cas, les collectivités locales sont le premier employeur du territoire qu’elles gèrent. Le développement économique d’un pays repose souvent sur l’économie des régions et de leur métropole. Notre objectif à ce jour est de réduire les disparités économiques entre les collectivités, ce que pourrait par exemple permettre la création de régions transfrontalières gérant conjointement les affaires économiques ou de réseaux de villes. Ces réseaux pourraient offrir un cadre pour coordonner les politiques et les mesures adoptées par les villes, échanger des expériences et des bonnes pratiques, s’informer mutuellement et investir dans les projets de villes partenaires.

Il va de soi que le bien-être économique est pour beaucoup dans la cohésion sociale. Le fait de réduire les disparités économiques au sein d’une collectivité ou entre des territoires limite les risques de frictions et de tensions. Cela étant, l’argent ne fait pas tout. Nous devons nous attacher à créer une « culture de l’égalité » englobant les aspects économiques, sociaux, écologiques et politiques. Il faut, par exemple, que tous les membres d'une collectivité soient égaux face à l'administration et à la loi, et jouissent d'une égalité dans la protection des droits, l’accès aux services publics, le traitement non discriminatoire, les chances d’obtenir un emploi et, enfin, la possibilité de jouir de l’environnement urbain et rural, qui dépend naturellement de l’adaptation de l’aménagement du territoire aux besoins des habitants.

Autre élément déterminant pour l’amélioration du bien-être social et le renforcement de la cohésion sociale : la promotion du dialogue interculturel et interreligieux au niveau local. Les communautés multiethniques, multiculturelles et multilingues telles que celles que nous connaissons aujourd'hui ne peuvent vivre en harmonie en l’absence de la tolérance et du respect mutuel qui découlent de l’acceptation de la différence, de la connaissance de la culture de l’autre et de la compréhension de ses traditions. Le Congrès a énoncé 12 principes destinés aux collectivités locales, principes qui visent à favoriser ce dialogue localement et à créer les conditions d’un débat libre où chacun peut s’exprimer et être entendu.

Mesdames et Messieurs,

Une collectivité doit, pour être cohésive, n’exclure aucun de ses membres : elle doit donner à tous un sentiment d’appartenance, leur faire prendre conscience qu’ils peuvent participer aux décisions et à tous les aspects de la vie collective et leur offrir un environnement accueillant. Le bien-être social dépend en grande partie de la convivialité qui règne dans la collectivité. C’est pourquoi on assiste à une multiplication des réseaux de villes qui s’attachent à promouvoir différents aspects de cette « convivialité » – Villes pour les enfants, Villes européennes pour une politique locale d’intégration (CLIP), villes innovantes en matière de transport et d’énergie (Energy Cities) ou villes du processus de Berlin relatif aux politiques intégrées de jeunesse dans les quartiers défavorisés.

Le Congrès est très impliqué dans ces réseaux sans pour autant renier la philosophie globalisante qui sous-tend l’approche intégrée de notre action en faveur d’un nouvel environnement urbain, un environnement caractérisé par l’équilibre entre développement économique et problèmes écologiques, zones industrielles et parcs naturels, sites historiques et quartiers modernes, un environnement familial et adapté aux enfants, qui tienne compte de la diversité biologique urbaine actuelle.

Cette réflexion philosophique se fonde sur la nouvelle Charte urbaine européenne ou Manifeste pour une nouvelle urbanité, adoptée par le Congrès lors de sa session plénière, à la fin du mois de mai dernier. Ce nouveau texte sera, je l’espère, une source d’inspiration aussi pour vous afin de réaliser un nouvel idéal urbain. Je sais que ma collègue, Madame Gaye Doganoglou, vous présentera ce projet d’une façon plus détaillée.

Je pourrais également citer d’autres recommandations adoptées récemment par le Congrès, qui procèdent toutes de la même philosophie : recommandations sur la consommation responsable et durable, sur la biodiversité urbaine, sur l’adaptation au changement climatique, sur une nouvelle culture de l’énergie, sur l’enfant dans la ville et la réinsertion des enfants des rues ou sur la participation des jeunes, pour n’en citer que quelques-unes. Dans le domaine social, nous poursuivons notre travail sur des problèmes tels que l’intégration des immigrés, la sécurité urbaine et la police de proximité, la lutte contre la traite des êtres humains, la lutte contre la violence familiale, l’accès aux droits sociaux et la protection des minorités.

Cependant, il est maintenant temps de regrouper toutes ces pistes au sein d’une approche globale intégrée. C’est à cette seule condition que le mot durable prendra tout son sens et que nous pourrons explorer ces différentes pistes au service d'un objectif unique, la construction des collectivités durables.

Mesdames et Messieurs,

Ceci est notre vision d’une nouvelle collectivité, et notre approche pour sa construction. J’espère que nos propositions et nos recommandations vous serviront d’inspiration dans vos municipalités, tant en Europe qu’en Asie, et que nous nous rencontrerons à nouveau, très bientôt, dans le cadre d’un véritable réseau des villes euro-asiatiques, pour poursuivre notre coopération.

Je vous remercie.