Conférence internationale « Une autonomie locale efficace, fondement d’un Etat démocratique efficace - Dixième anniversaire de la ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale 

par la Fédération de Russie »

Moscou, 10 avril 2008

Allocution de Yavuz Mildon, Président de la Chambre des Régions Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

La démocratie est née dans les villes de l’antiquité, à l’époque des cités‑Etats, bien avant la formation des nations – lorsque les gens parlaient de Rome, d’Athènes ou de Moscou, mais pas encore de l’Italie, de la Grèce ou de la Russie. Cela n’a rien de surprenant parce que la population habitait majoritairement dans les villes et que c’est le mot « cité » qui a donné naissance au mot « citoyen ».

Aujourd’hui, nous assistons à la renaissance du pouvoir de la cité. La fin de la confrontation des idéologies en Europe, la chute des régimes communistes et l’élargissement du Conseil de l'Europe et de l’Union européenne qui a suivi ont préparé la voie de la création d’un espace véritablement paneuropéen et, avec la disparition progressive des frontières, le transfert des pouvoirs aux autorités territoriales. Dans ce contexte, les municipalités prennent une importance croissante dans les domaines politique, économique et social, puisque les compétences et les moyens financiers sont transférés du niveau national au niveau territorial.

Tout cela constitue une excellente occasion de développer ce que nous appelons aujourd’hui la diplomatie des villes, par laquelle les villes concluent des accords de coopération non seulement avec d’autres villes ou régions mais même avec des gouvernements nationaux. Les relations extérieures ne sont plus la responsabilité exclusive des ministères des Affaires étrangères des gouvernements nationaux, puisque les villes récupèrent une grande partie des compétences qui relevaient des autorités centrales. Les villes ont un rôle important à jouer dans la consolidation de la démocratie, le maintien de la paix et de la stabilité et la promotion de la participation des citoyens aux processus démocratiques, participation qui peut avoir un impact aux niveaux national et même international. Nous voyons aujourd’hui se multiplier les jumelages et les réseaux de villes : Villes pour la paix, Villes pour les droits de l'homme, Alliance municipale pour la paix, nouveau réseau européen des « Villes pour les enfants » (Cities for children) ou Réseau CLIP – Réseau de villes européennes pour une politique d’intégration locale des immigrés, lancé en septembre 2006 avec le soutien du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe que je représente en tant que Président de la Chambre des Régions.

La possibilité d’une coopération de ce type entre les communes des Etats membres du Conseil de l'Europe est soulignée à l’article 10.1 de la Charte européenne de l'autonomie locale, dont la ratification par la Russie il y a dix ans est la raison d’être de cette conférence. Ces dernières années, la portée institutionnelle et économique de cette coopération s’est considérablement élargie pour de nombreuses collectivités locales en raison de la vitalité des sociétés modernes, de leurs recherches d’efficacité et de la mondialisation. D’autres facteurs expliquant le progrès important de la coopération intercommunale sont la petite taille des communes, les services de plus en plus complexes et coûteux qui relèvent des municipalités, les ressources financières insuffisantes et le manque de personnel qualifié. Je sais que vous connaissez bien ces problèmes également en Russie, notamment à la suite de la réforme récente qui a conduit à la création de 12 000 nouvelles communes.

Par ailleurs, la coopération intercommunale est de plus en plus pertinente pour l’évaluation de l’efficacité des collectivités locales et régionales. On peut dire que la coopération intercommunale est le droit des collectivités locales de coopérer, dans l’exercice de leurs pouvoirs, au sein de structures spécifiques et de constituer des groupements avec d’autres collectivités locales pour remplir leurs missions d’intérêt commun. A cet égard, l’article 10.1 de la Charte de l’autonomie locale traite explicitement de la coopération intercommunales et du droit des collectivités locales à s’associer en vue de « renforcer leur efficacité par des projets de collaboration, ou de mener à bien des missions qui dépassent la capacité d’une collectivité seule ». En outre, l’article 10.3 de la Charte traite la question de la coopération transfrontalière entre des collectivités locales et régionales, qui fait également l’objet d’une convention spécifique du Conseil de l'Europe, la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontière des collectivités ou autorités territoriales, appelée aussi Convention de Madrid de 1980.

En 2007, le Congrès a examiné un rapport sur le cadre institutionnel de la coopération intercommunale et adopté une recommandation aux gouvernements des Etats membres, affirmant que la charte est très attachée à la coopération intercommunale, qui est déjà répandue dans certains pays ou en essor dans plusieurs autres en tant que moyen d’obtenir des gains en termes d’économies et d’efficacité dans le traitement des affaires communes au niveau local. 

Le Congrès a estimé que le développement de la coopération intercommunale était essentielle en raison des nombreux défis auxquels sont confrontées les collectivités locales, tels que l’exigence d’efficacité des sociétés modernes dans un contexte de décentralisation et de mondialisation, pour répondre aux demandes sociales croissantes et de plus en plus complexes et aux besoins d’une population plus mobile et parfois trop fragmentée (grandes agglomérations urbaines,  petite taille des communes, émiettement communal, population rurale très dispersée, etc.).

Le Congrès a également estimé que la coopération intercommunale présentait des avantages importants par rapport à la fusion des communes et la privatisation des services publics, car les fusions se heurtent parfois aux traditions des populations locales et la privatisation des services publics ne suffit pas à pallier l’absence de structures publiques chargées de gérer les affaires municipales et de prendre des décisions. En outre, la coopération intercommunale est encore plus souhaitable dans les pays où la régionalisation est peu développée.

Mesdames et Messieurs,

La coopération intercommunale en Europe prend des formes extrêmement diverses : elle peut être librement choisie par les collectivités locales ou imposée ; elle peut être prévue par la loi ou fondée sur d’autres instruments (contrats) ; elle peut impliquer la constitution d’une entité juridique de droit public ou de droit privé ou d’une nouvelle collectivité locale, qui peut ou non être concernée par les dispositions de la Charte européenne de l'autonomie locale. Enfin et surtout, elle peut être régie par des dispositions contraignantes très générales ou au contraire extrêmement précises.

Cette diversité ne constitue en soi un inconvénient ni pour l’exercice au quotidien des compétences des autorités décentralisées et de leurs structures de coopération intercommunale, ni pour la coopération transfrontalière de ces collectivités et de leurs structures de coopération. Toutefois, on constate dans certains cas que la coopération intercommunale peut entraîner un certain déficit démocratique, notamment parce que la population n’est pas consultée lors de l’établissement des structures de coopération, ou parce que les membres des conseils et des commissions de ces organismes intercommunaux ne sont pas élus par les citoyens. Parfois, l’objet de la coopération intercommunale peut aussi être détourné pour permettre aux élus locaux de se dérober à leurs responsabilités politiques en déléguant la prestation de services publics à des structures communales lointaines, voire opaques, et qui n’appartiennent à aucune commune en exclusivité.

A la lumière de ce qui précède, nous, les membres du Congrès appelons les Etats membres du Conseil de l'Europe à élaborer un cadre juridique suffisamment précis, prévisible et accessible pour l’exercice et le développement de la coopération intercommunale, à sensibiliser les élus locaux aux avantages de la coopération intercommunale et à leur fournir la formation nécessaire. Nous les invitons aussi à renforcer le rôle des populations locales lors de la création ou de la suppression des mécanismes et organismes de coopération intercommunale, en prenant en compte les partenariats et les spécificités locales, afin de préserver la diversité culturelle et paysagère en Europe, notamment dans les zones rurales.

En outre, il convient d’adopter des mesures spécifiques pour assurer la participation effective des populations concernées dans les domaines de compétence des structures intercommunales, et pour garantir que la représentation des groupes minoritaires dans les assemblées locales se reflète dans les structures de coopération intercommunale.

Par ailleurs, une municipalité ne devrait être tenue de se joindre à un organe de coopération spécifique que pour des raisons objectives d’intérêt supracommunal, dûment spécifiées dans la loi, et après consultation des communes concernées.

Parallèlement, les collectivités locales des Etats membres du Conseil de l'Europe doivent prendre des mesures concrètes pour encourager l’élaboration d’un cadre juridique approprié et le recours aux possibilités existantes de coopération intercommunale, et pour garantir la participation des populations locales à la création ou à la suppression des mécanismes et des organismes de coopération intercommunale, ainsi que dans les domaines de compétence des organismes intercommunaux publics ou privés.

Mesdames et Messieurs,

La question de la coopération intercommunale est particulièrement importante pour la Russie, vaste Etat fédéral aux multiples municipalités. Les mesures prises jusqu’à présent à cet égard sont encourageantes pour le Congrès, et nous attendons avec impatience d’autres mesures et textes législatifs visant à mettre en place le cadre juridique et institutionnel dont je viens de parler. De son côté, le Congrès est disposé à fournir des conseils, un savoir-faire, une formation et toutes les autres aides possibles pour que la coopération intercommunale devienne une réalité.

Je vous remercie de votre attention.